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Pas de vrai liberté sans égalité !
Dans les deux premières parties de ce texte (Courant alternatif n°88 et n°89), on s'est efforcé de montrer comment, en France aujourd'hui, le fort développement du salariat féminin et l'évolution des moeurs concernant le couple et la famille incitent des représentants du système patriarcal et capitaliste à promouvoir une politique d'intégration des femmes dans la vie publique et à chercher une réglementation des rapports sexuels autre que celle du mariage.Le projet de parité porté par la «gauche plurielle» illustre parfaitement cette démarche: il s'agit de récupérer l'électorat des femmes grâce à une prétendue avancée vers l'égalité entre les sexes qui, en masquant à la fois les inégalités existant entre les classes et la domination masculine persistante dans la société, tend à perpétuer l'illusion de la démocratie parlementaire. A nos yeux, il importe bien davantage de réfléchir à des pistes qui permettraient, par une rupture avec cette société d'exploitation, de déboucher sur une réelle émancipation sociale.

Non à l'intégration des femmes dans le système qui les opprime

Si l'invisibilité des femmes est une donnée quasi universelle qui traverse les classes comme les époques, et si les institutions françaises (pour ne parler que d'elles) sont à 90 % tenues par des hommes - ne dit-on pas d'ailleurs les «hommes politiques» ? -, la lutte contre l'ordre établi implique de ne pas y participer, et bien au contraire de chercher à le détruire. En quoi l'accès aux sphères publiques devrait-il être un enjeu, dès lors qu'y règnent le patriarcat- par le biais du paternalisme, de la hiérarchisation des luttes, de la non-reconnaissance du privé comme étant du «politique» - et le capitalisme - par la prise en compte des seuls intérêts de la classe possédante ? Loin de favoriser la disparition du système, l'élection de femmes dans les hautes instances nationales contribue à sa reproduction. En fait, parler d'égalité entre les sexes sera vain tant que la domination masculine demeurera intégrée dans la tête des hommes mais aussi des femmes, au point qu'ils et elles la défendent pour la plupart, consciemment ou non.


Comment la parité en politique pourrait-elle avoir une quelconque efficacité dans un système à la fois de classe et sexiste ? Si le PS l'a proposée, c'est parce qu'il sait que, acceptée ou non, les rapports de domination demeureront inchangés; et si la classe politique se déclare prête à accorder en son sein une place à certaines femmes, c'est afin de remettre les autres à leur place. Car, dans l'affaire, la parité domestique est complètement laissée de côté, les inégalités économiques «oubliées».


Pour défendre son projet, la «gauche plurielle» assure que les élues apporteront un changement parce qu'elles aborderont autrement que les élus les sujets traités. «Habituées qu'elles sont à faire le va-et-vient entre ces deux versants [le privé et le public, l'individu et la société], [les femmes] posent mieux les problèmes de santé, de prévention [...], les réalités du travail à temps partiel, le souci des générations futures, elles ont une approche plus concrète de l'urbanisme, etc.», affirment F. Comte et A. Lipietz (Le Monde du 17/2/99). Mais comment «les femmes» pourraient-elles faire leur entrée dans le club masculin des institutions en innovant, dès lors que seules ¦lles qui appartiennent aux couches supérieures de la société y sont admises, et qu'elles reflètent plutôt les préoccupations, valeurs et préjugés de leur milieu ? On le voit dans les débats entre projets antiparitaires «de gauche», qui affirment dans leur ensemble vouloir corriger l'effacement des femmes dans la société, mais divergent sur le moyen d'y parvenir. Le discours de certaines «intellectuelles universalistes», par exemple, témoigne qu'elles ne sont pas disposées à se laisser amalgamer à, et confondre avec, n'importe quelle autre femme: I'idée que, si une parité était établie partout, on pourrait «expliquer» leur position sociale par leur seule appartenance au sexe féminin les révolte, et leur mise en avant de la «compétence» reflète leur élitisme. Il n'y a guère de chamboulement à craindre pour le PS (entre autres) avec l'intégration de telles personnes, qui forment déjà sa clientèle électorale. De plus, les élues n'ont en général, comme l'immense majorité des femmes dans les autres secteurs de la société, qu'un rôle de seconde zone.


Pour nous, le problème n'est pas vraiment d'avoir autant de femmes que d'hommes chez les cadres ou les leaders politiques, mais plutôt de n'avoir ni dirigeants ni dirigeantes dans une société la plus égalitaire possible...


Non à la réglementation des modes de vie, quels qu'ils soient

Concernant des projets tels que le PACS, il s'agit de dire haut et fort qu'on est contre l'institution matrimoniale sans pour autant soutenir une quelconque mise en carte nouvelle et faire le jeu du pouvoir (le PACS doit ainsi être signé au greffe du tribunal d'instance, sa rupture signifiée par huissier...). Luttant contre la société existante, pourquoi irions-nous demander à ses autorités qu'elles prennent en charge et à leur compte les manifestations de résistance ou de délégitimation d'elles-mêmes que représentent une partie des unions libres. ? De plus, le gouvernement dispose des moyens de faciliter, par des réformes juridiques et fiscales, la vie quotidienne des personnes vivant hors mariage, quelle que soit leur sexualité; il n'a donc pas, pour ce faire, besoin d'instaurer une nouvelle forme de vie légale. Et puis, le PACS restera un compromis boiteux, parce qu'il est censé répondre à la fois à un désir de reconnaissance institutionnelle chez certain-e-s homosexuel-le-s et à un désir de libre choix individuel que partagent les couples refusant de se marier, ceux qui ne le peuvent pas, et ceux qui n'ont pas le droit de le faire parce que frères et s¦urs. Bien sûr, on peut comprendre la volonté affirmée dans la communauté homosexuelle de voir légitimer un autre type de sexualité que l'hétérosexualité, seule reconnue à ce jour par l'acte du mariage. (Les femmes naguère ont pu de même revendiquer le droit de vote - pas forcément pour en user, mais parce que, pour rejeter un droit, il faut au préalable en disposer.) Le PACS efface, certes, de la loi la discrimination homophobe à l'encontre des couples et ouvre la voie à la reconnaissance des familles homoparentales.


Mais l'intégration des homos par ce biais, outre qu'elle est illusoire, n'a rien de libérateur au niveau individuel, car libération sexuelle ne rime pas avec réglementation: on doit pouvoir aimer qui on veut, quand on veut, où on veut sans qu'il soit besoin d'en référer à une quelconque autorité.

Oui à une réappropiration de leur histoire et de leur vie par les femmes

Une étude réalisée aux Etats-Unis en 1996 montre (d'après Libération du 19/1/99) que, s'il fallait avoir seulement un enfant, 80 % des hommes et plus de 50 % des femmes préféreraient que ce soit un garçon.


Les femmes ? Pas d'âme et guère de cerveau... L'interdiction pour l'immense majorité d'entre elles d'accéder à la connaissance, pendant des siècles, a fait traiter de sorcières et condamner au bûcher l'infime minorité qui passait outre dans les classes populaires, tandis que seules les «gourgandines» gagnaient par leur liberté de m¦urs une possibilité plus ou moins grande de se cultiver en fréquentant la haute société... Après s'être demandé si les femmes possédaient l'aptitude à recevoir le savoir (aller à l'école) et la faculté de le transmettre (enseigner), les tenants de la société patriarcale s'interrogent aujourd'hui encore sur leur capacité de «créer» du savoir (notamment faire de la recherche scientifique). Fidèle à son héritage judéo-chrétien, la démocratie représentative maintient la différenciation des rôles selon les sexes: l'homme produit et décide, la femme reproduit et acquiesce. De là ce qui est dit du «sexe faible» chaque fois qu'il obtient une avancée à l'extérieur de la maison - faisant un pas vers l'autonomie et l'affirmation de soi. Le vieux fond de misogynie ressort constamment: tour à tour, les femmes sont jugées incapables de conduire, voter, lutter... alors qu'en matière de conduite automobile, finalement, les assurances les préfèrent aux hommes; qu'en matière de vote -après les avoir accusées d'être plus bêtes et réacs que leurs maris, de s'aligner sur leurs choix ou sur les préceptes de l'Eglise, «on découvre» que leurs options politiques ne sont pas trés différentes de celles des hommes dans la répartition gauche-droite, hormis pour le Front national(1); qu'en matière de lutte elles n'ont cessé de montrer, dans la conduite des grèves ou des mouvements de solidarité, une endurance et une détermination qui valent bien celles des hommes. Et si des féministes se sont attachées à dégager leur histoire, masquée par celle des hommes ou des individus, il reste beaucoup à faire pour leur restituer leur place dans le cours des événements passés et présents(2).


Les femmes demeurent peu présentes dans les manuels scolaires et n'ont fait, en littérature, leur apparition que récemment dans la prestigieuse collection de La Pléiade(3). Suzanne Lenglen a remporté six fois, entre 1920 et 1926, le tournoi de tennis de Roland-Garros (un record toujours inégalé par les joueurs des deux sexes), mais un seul court porte son nom... depuis 1996. Quand une sportive comme Amélie Mauresmo revendique son homosexualité, elle se voit accusée d'être un homme ou presque, à son arrivée pour la première fois en finale d'un tournoi du grand chelem. Et si les femmes journalistes sont à présent très nombreuses (quoique surtout à la base des organigrammes rédactionnels), le rôle traditionnel de faire-valoir ou de jolie potiche n'a pas plus disparu de leur profession que des autres: les directions de presse les envoient facilement dans les pays où se déroulent les conflits les plus médiatisés, ayant constaté que leur présence «sur le terrain» apporte du piment au journal télévisé...


Dans la logique patriarcale et capitaliste, qui reste celle du profit maximal pour une minorité de personnes, exploiter la force de travail des femmes à la maison, comme celle des ouvrier-ère-s et des paysan-ne-s à l'extérieur, implique leur maintien dans l'ignorance de ce qui n'est pas nécessaire ou serait susceptible de nuire à l'accomplissement de leurs tâches (celles-ci évoluant avec les techniques). C'est pour lutter contre cette ligne immuable que le mouvement syndicaliste et révolutionnaire s'est employé dès la fin du XIXe. siècle à favoriser l'accès à l'instruction du monde ouvrier en général, entre autres par le biais des bourses du travail; et que les (anarcha-)féministes ont mis également l'accent sur l'éducation sexuelle, concernant l'émancipation des femmes. Parce que, quand on est plus ou moins maintenu-e à l'état de bête de somme ou de reproductrice, avec un horizon borné aux limites du foyer ou de la mine, on imagine difficilement les moyens d'améliorer son triste sort.


Oui à un rééquilibrage des tâches domestique entre hommes et femmes
Si le projet de parité proposé par le gouvernement indique que la démocratie représentative est sexuée, il n'y est pas question de parité domestique, alors qu'il faudrait commencer par là, en cessant de considérer que le privé est d'abord l'affaire des femmes.


Aujourd'hui, les rôles sexués demeurent, car les femmes qui ont un emploi ne (se) sont pas pour autant dispensées des tâches ménagères; mais elles sont forcément tiraillées entre les deux pans de leur double journée. De plus, paradoxe dans une époque célébrant la fin de la centralité du travail, elles accordent souvent une grande importance à leur activité extérieure parce que celle-ci les sort de leur statut traditionnel et les valorise. Mais, d'une part, pareille valorisation n'est qu'apparence puisque l'inégalité subsiste, dans la production comme ailleurs, entre les sexes; d'autre part, elle constitue un piège en poussant les femmes qui sont au bas de l'échelle sociale à accepter des conditions de travail difficiles (annualisation et réduction du temps de travail, horaires éclatés et revenus proches de l'assistanat sont le lot des femmes de ménage, vendeuses, caissières, assistantes maternelles...), et celles qui sont en haut à s'investir et adhérer à fond aux valeurs de l'entreprise. Les femmes inactives ou sous-employées «en redemandent», en effet. Ainsi, nombre de salariées précaires aimeraient travailler davantage et autrement, car leurs horaires leur posent des problèmes de garde d'enfants, les obstacles à un parcours professionnel «normal» abondent, elles n'ont fréquemment droit ni aux primes ni à la formation continue... Le temps partiel ne représente donc pas pour n'importe qui le moyen idéal de concilier vie familiale et vie professionnelle: tout dépend des conditions de travail, du salaire et des horaires qui l'accompagnent.


De plus, la perpétuation des inégalités passe par le travail domestique, puisque c'est lui l'obstacle à l'activité et l'investissement des femmes dans leur carrière. De même que le' inégalités entre les classes, celles entre les sexes se répètent et se cumulent: elles s'engendrent et se nourrissent mutuellement, en multipliant les avantages au profit des uns et les handicaps au détriment des autres(4). Les difficultés aux. quelles beaucoup de femmes se heurtent dan' la recherche ou la conservation d'un emploi «classique» (CDI à temps plein) les incitent, en désespoir de cause, à se replier sur la sphère conjugale et familiale au profit du travail domestique. L'attribution du privé au' femmes, avec leur consentement, et l'hégémo.nie des hommes dans le public s'en trouvenl renforcéss. On mesure dès lors la fausseté de la «féminisation de la société française» ou «de. m¦urs» qui est affirmée sur la base de quelques constatations: la supériorité démographique des femmes; I'augmentation des familles monoparentales dont le «chef» est une femme ; le souci croissant affiché par la gent masculine de son apparence physique, parallèlement au développement de la pratique unisexe du sport ou à la mode des produits lights... Autant de phénomènes qui constituent un immense paravent cachant la réalité inverse, puisqu'il y a en fait aujourd'hui renforcement insidieux de la domination masculine. L'«identité féminine» tend à se définir par deux traits classiques de la «masculinité»: la détention d'un diplôme et l'exercice d'un travail salarié; et les transformations intervenant dans la condition des femmes ont des effets pervers, porteurs de nouvelles contraintes et formes de discrimination. Ce qui s'est déprécié au cours de ces dernières décennies n'est pas la masculinité, mais seulement sa forme la plus grossière : le machisme - brouillant, plus ou moins selon les milieux, l'image masculine.


Cependant, dans l'univers clos de la maison règne toujours une répartition inégalitaire entre les sexes: les femmes assurent la quasi-totalité des tâches ménagères et éducatives, même si une zone négociable (cuisine, courses, vaisselle) a récemment émergé. D'une part, les hommes n'ont en général pas envie d'aller plus loin sur ce terrain - changer les couches, nettoyer les WC ou faire apprendre les leçons, c'est moins rigolo que jouer avec les enfants ou mitonner un petit plat; d'autre part, les femmes ne veulent pas toujours qu'ils aillent plus loin: nombre d'entre elles s'accrochent aux enfants et à la maison comme à «leur domaine». Et il est bien sûr plus facile pour les classes moyennes et supérieures que pour les autres de constater et déplorer cette situation; plus facile pour elles de dégager en partie leurs femmes actives» des tâches domestiques, par l'embauche d'une aide ménagère ou d'une fille au pair (choisies de préférence, quand on est «de gauche», en provenance des pays de l'Est, pour faire oeuvre de solidarité et contribuer à réduire le chômage)...


Ce n'est pas dans cette société que l'égalité des sexes, ou celle des classes, peut être obtenue: la liberté individuelle, qui passe par les droits de la personne à l'autonomie de sa vie privée, fait obstacle dans les foyers à un rééquilibrage des tâches et à une redéfinition des statuts entre les sexes. Et là, on touche au fond du problème, car la nécessité de renverser- non d'aménager de quelque manière que ce soit - l'ordre patriarcal, pour mettre fin à l'assignation prioritaire des femmes à l'espace et au travail domestiques, implique une véritable révolution culturelle, d'autres modes de socialisation des personnes et un nouvel imaginaire social.

Non au « destin biologique » des femmes


Un colloque international a été organisé à Paris du 19 au 23 janvier 1999 pour saluer le cinquantenaire du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (SdeB). 37 pays y étaient représentés par des femmes de plusieurs générations. Or, si la majorité des intervenantes a salué l'actualité de cette ¦uvre, un vent de contestation a soufflé autour de l'idée de «nature féminine».


On assiste en effet depuis un certain temps à une véritable offensive idéologique, menée d'un côté par l'extrême droite et de l'autre par des partisan-e-s de la parité(5), contre l'affirmation «On ne naît pas femme, on le devient»; et l'« éternel féminin», qui avait été contesté par le mouvement des femmes dans les années 70, revient en force avec la retombée de ce mouvement, victime de son «oubli» par les jeunes générations.


A la vérité, SdeB n'est pas féministe quand elle écrit Le Deuxième Sexe; elle cherche plutôt, par une adhésion aux valeurs des hommes (le masculin étant à ses yeux la clé de l'universel) à accéder à leur monde, leur savoir, leur écriture. Sa stature d'intellectuelle (agrégée de philo, prix Goncourt, etc.) lui donne l'impression d'avoir dans son milieu de penseurs bourgeois des rapports très égalitaires avec les hommes (tout en manifestant pour sa part une profonde révérence envers Sartre et en acceptant sa prédominance...), et la condition féminine ne lui pèse pas. Produit du changement survenu au cours des décennies précédentes pour les filles, du fait de leur scolarisation obligatoire, SdeB illustre bien les contradictions de certaines de ses contemporaines, qui aspirent à l'Université, un métier, la création, ou participent à des expéditions ethnologiques. Très réservée par rapport aux féministes, elle estime que leur mouvement est dépourvu d'autonomie, leur milieu de «bonnes femmes» étroit et mesquin... Et pourtant, dans son ouvrage, elle rejoint ces féministes (alors en quête d'égalité civique et de contraception(6)) sur le terrain de la sexualité, dans la mesure où, en plein baby-boom - le natalisme triomphe, en 1949, avec un idéal prôné de mère au foyer, éducatrice-née d'une famille qu'on souhaite nombreuse -, elle ose dénoncer la maternité comme aliénante pour les femmes, défendre l'avortement, s'élever contre l'instinct maternel, parler du lesbianisme et de l'initiation sexuelle; bref, aborder la question taboue de la sexualité féminine.


En affirmant que les femmes doivent se rendre maîtresses de leur corps et de leur éducation car elles ne sont pas destinées à être épouses, ménagères et mères, SdeB choque terriblement. Et en établissant la différence entre les sexes non sur la nature, mais sur la culture et l'histoire, son raisonnement débouche sur un féminisme de l'égalité. Elle définit la femme par son rapport à l'homme, situe l'origine de son oppression dans les relations sexuelles - la première étape de sa libération étant dès lors de refuser la maternité - et ouvre la voie aux théories américaines sur la construction des genres, car elle insiste sur le devenir de l'existence plutôt que sur son essence. La démarche de SdeB correspond donc, en quelque sorte, à la «phase phallique de la libération des femmes», moment où celles-ci veulent être traitées comme des hommes - et l'écrivaine ne se déclarera féministe que vingt ans après la sortie du Deuxième Sexe.


Dans les années 70, le mouvement de libération des femmes rompt avec les modèles traditionnels de la féminité, lutte pour la libre disposition de leur corps et de leur vie. Il s'élève contre les thèses naturalistes selon lesquelles féminité égale fertilité, sensibilité et dévouement, et la maternité constitue la seule voie de réalisation pour les femmes; enfin, il revendique le droit de choisir d'être mère et de pouvoir exister sans l'être. Mais, même alors, l'éventail des positions féminines sur cette question va de la maternité-aliénation à la maternité-identité. On trouve en effet un courant de féministes égalitaristes, qui se réfère toujours au masculin en recherchant une socialisation nouvelle des filles, susceptible de faire disparaître les effets discriminatoires de la division sexuelle... et qui contribuera à répandre le modèle de la «superwoman» capable de tout concilier -études, mari, famille, carrière et loisirs. Ce courant considère l'amour maternel comme un moyen de conditionnement par lequel les femmes sont conduites à servir les autres, et il situe le lien principal de leur oppression dans l'enfermement et la dépendance affective et économique; refuser la maternité doit de ce fait permettre d'abolir la différenciation sexuelle. A l'inverse, un autre courant féministe estime que la source de l'oppression réside non dans la spécificité des femmes qu'est la procréation, mais dans leur responsabilité exclusive à l'égard des enfants et du travail domestique, responsabilité qu'il convient de modifier.


Les années 80 voient l'abandon des grandes dynamiques collectives au profit de la redécouverte du sujet et du retour au privé; les médias (en particulier la presse dite féminine) qualifient couramment, depuis, le féminisme de ringard, et ses militantes d'hystériques, d'attardées ou d'êtres déraisonnables. Mais si le mouvement des femmes s'est réduit comme peau de chagrin, les problèmes qu'il soulevait n'ont pas disparu et leurs solutions demeurent à trouver. Devant la masse de femmes condamnées au summenage, à la pauvreté et à la monoparentalité, certaines féministes dénoncent l'inefficacité des réaménagements intervenus dans les rôles de sexe, et l'incapacité du monde du travail à tenir ses promesses d'autonomisation et de réalisation de soi. D'autres redécouvrent la maternité au point de resacraliser un «féminin maternel» immuable. D'autres encore pensent qu'il est impossible d'évacuer la fonction maternelle par quelques formules lapidaires, car, si elle ne suffit pas à combler la vie d'une femme, elle constitue néanmoins une donnée importante et complexe à ses yeux...


Dans l'actuelle polémique entre anti et proparitaires, les premier-ère-s ont raison de souligner les dangers de «qualités féminines» qui découleraient d'un déterminisme biologique (maternité, ovaires...), et grâce auxquelles les femmes - possédant une approche du monde plus concrète et conviviale que les hommes, ayant plus qu'eux le sens du temps, de la réalité vécue et de l'autre... - seraient porteuses d'une vision politique originale. Car cette division «naturelle» en deux catégories aux devenirs particuliers qui est louée peut renforcer l'inégalité. A l'inverse, les proparitaires n'ont pas tort de critiquer - en s'appuyant sur la réalité de la condition féminine - leurs adversaires pour leur culte du concept et leur appartenance à une classe privilégiée, de nanti-e-s lancé-e-s dans des spéculations oiseuses et artificielles... à ceci près que l'appartenance à cette classe est largement partagée par les deux camps.


La glorification de la «nature féminine» est un piège dans la mesure où ses «spécificités» renvoient au rôle traditionnel dévolu au «sexe faible». L'enracinement du politique dans le biologique marque un inquiétant retour en arrière, vers un XIXe siècle qui a tenté de fonder son organisation sur le corps - clé d'un masculin et d'un féminin opposés ou complémentaires, mais toujours fortement hiérarchisés. Mais arguer, pour défendre la parité, que la politique (en fait, I'accès aux fonctions électives) est le moyen et le symbole de l'oppression féminine ne tient pas, dès lors que l'on prétend rétablir un équilibre entre les sexes sans changer les règles du jeu «démocratique».


En fait, il ne faut pas confondre sexe biologique et sexe social. Le Deuxième Sexe le dit justement: l'identité de chaque être se construit avant même la naissance dans les schémas qui imposent et définissent la différence entre les sexes; et le système patriarcal s'appuie sur cette différenciation pour organiser la société au mieux de ses intérêts, en mettant la douceur et la malléabilité des femmes au servi¦ des hommes. Combien de petits garçons s'amuseraient avec une poupée ou se fabriqueraient des colliers, combien de petites filles grimperaient aux arbres ou joueraient aux cow-boys si on ne les en dissuadait ? Les femmes subissent en tant que genre dominé certaines inégalités, qui sont fondées à la fois sur une construction sociale et sur une réalité historique, politique, juridique, linguistique et culturelle. Cette organisation, destinée à tracer une frontière entre hommes et femmes, vise à répartir inégalitairement biens et corvées, pouvoirs et devoirs. La nature n'a rien à voir avec l'interdiction faite aux femmes, des siècles durant, d'aller à l'Université; et ce sont les élites masculines qui leur refusent de nos jours encore l'accès aux emplois les plus prestigieux et disposent des moyens de leur barrer légalement la route. (Il en va de même avec l'impossibilité pour un homme d'épouser un autre homme et de fonder une famille: cette interdiction s'appuie sur des dispositifs juridiques ayant pour origine une idéologie normative.) Et, en ce qui concerne les instances du pouvoir, ce sont tant la culture politique dominante qu'un règlement non écrit qui permettent aux hommes de maintenir leur monopole dessus:
la compétence n'entre guère dans le barrage fait aux femmes sur ce terrain. Bref, c'est un usage politique de la différence entre les sexes qui entretient leur appropriation à travers leur corps, leur temps et leur existence même.

Oui au bonheur d'être femme


Fini (enfin, presque !) le temps où être femme n'était vécu que comme un handicap - où on protégeait la fille du malheur d'appartenir à son sexe, donc de courir le risque d'une grossesse «déshonorante» si elle s'approchait trop près du garçon avant que l'autorisation ne lui en ait été donnée par le mariage...


Certaines femmes ont pu et peuvent rêver toujours d'être «comme les hommes», pour bénéficier de leur liberté de mouvement, avoir du pouvoir, etc., et par dépréciation de l'image féminine (toutes des pisseuses, morveuses, poules mouillées, c'est bien connu). Mais le MLF a rendu leur fierté à beaucoup, en disant aux hommes: On est contentes de nous, d'être entre nous, et on peut se passer de vous... Immense jubilation de découvrir sa force dans un mouvement collectif et solidaire.


Signe des temps, de nombreuses femmes semblent aujourd'hui apprécier leur sexe, même si cette revalorisation de l'image féminine n'est pas forcément consciente ni exprimée(7). Celles qui travaillent(8) semblent également aimer leur double activité; mais, fréquemment épuisées et culpabilisées d'être au four et au moulin, elles réclament un rééquilibrage entre leurs deux univers - un rythme de vie leur permettant de profiter plus sereinement de l'un et l'autre, et un partage des contraintes de la vie familiale - alors que, chez SdeB, les femmes paraissaient devoir continuer à assumer leur charge domestique, et jouir seules de ce privilège tout en «s'épanouissant» dans le monde du travail.


La contraception gagnée, I'avortement rendu possible (même s'il reste peu évident dans la pratique), la plupart des femmes font néanmoins le choix de la maternité, quoique ce choix constitue un handicap pour leur carrière... par¦ qu'elles en ont envie. Sans doute par¦ que l'ambition sur le plan professionnel demeure en moyenne moins forte chez elles que chez la moyenne des hommes; mais sans doute aussi et encore par «esprit de sacrifice», pour le bien de leur enfant ou de leur couple, le conjoint devant conserver son rôle dominant par l'apport du salaire principal.


Les femmes veulent donc bien avoir des enfants, de nos jours, mais sans l'enfermement et le dévouement absolu censés aller avec. Elles désirent travailler, non seulement pour obtenir une autonomie financière, mais parce qu'elles sont persuadées d'être meilleures mères ce faisant, comme si leur activité extérieure les aidait à exister en tant que personne. Piège et ambiguïté du salariat, qui «libère» par rapport au patriarcat et aliène par rapport au capitalisme - mais réalité. Toutefois, ce choix reste conditionné par l'existence des structures indispensables (crèches, garderies, cantines) pour s'occuper des enfants en l'absence de la mère - à défaut d'incitations assez fortes pour que le «père au foyer» se développe. D'où l'importance des politiques sociales - I'exemple de l'Allemagne prouve, s'il en était besoin, que la quasi-inexistence de telles structures et incitations oblige les femmes à rentrer à la maison.





Au bout du compte subsistent, bien sûr, quantité d'interrogations concernant le rôle sexué féminin: n'y a-t-il place que pour «jouer au mec» ou se maintenir dans les marques imposées de la «féminité» ? Est-il possi ble de s'aventurer sur le terrain des hommes sans perdre son identité de femme - et qu'est-ce que cette identité, au fait ? Les attitudes propres à chaque sexe disparaîtraient-elles dans une société qui serait parvenue à éliminer la domination masculine ?, etc. Certes, on ignorera sûrement toujours la part exacte de l'inné et de l'acquis dans la différenciation entre les sexes, mais on s'en fiche bien... car ce qu'on sait d'ores et déjà, en revanche, c'est que le «culturel » peut être modifié, et c'est ce qui compte lorsqu'on aspire à changer la société.

Oui aux luttes sur le terrain pour l'émancipation des femmes


En conclusion, si, à l'aube du deuxième millénaire, on ne constate d'égalité ni entre les sexes ni entre les classes dans la société française (ou ailleurs), on ne peut, au nom du «progrès», détendre la participation des femmes à leur propre exploitation. Leur émancipation passe par leurs luttes sur le terrain(9); et elle nécessite une mobilisation contre le patriarcat, mais aussi contre le capitalisme, par¦ que ces deux systèmes marchent ensemble pour maintenir l'emprise masculine sur la société, et que lutte des classes et lutte des sexes se recoupent. La double exploitation que subissent la plupart des femmes doit être combattue tant dans la sphère publique que privée, par une dénonciation des rôles inculqués aux deux sexes, et par une intervention politique visant, sur la base d'expériences concrètes, à construire des rapports sociaux débarrassés de toute discrimination.


Il s'agit d'obtenir que chaque personne des deux sexes puisse être reconnue dans son identité et sa différence sans qu'un quelconque rapport hiérarchique découle de cette différence, en fonction d'une norme qui serait celle d'un seul sexe. Et ce n'est pas une mince affaire, car habitudes autoritaires et réflexes d'obéissance sont profondément ancrés dans l'inconscient de chacun et chacune. Cela implique de mener, au plan individuel, une recherche des valeurs imposées par la famille et l'école, afin de traquer la reproduction d'attitudes sexistes (de domination comme de soumission). Et cela implique de mettre en ¦uvre, au plan collectif, un projet de société qui soit une réelle alternative à l'organisation sociale en place, afin de parvenir à la fois à l'émancipation des femmes et à l'abolition des classes.

par Vanina

1. Ont voté pour lui, aux législatives de 1997 et à la présidentielle de 1995, 12 % des femmes contre respectivement 18 % et 19 % des hommes.


2. Ainsi, la «Journée des femmes» instituée le 8 mars ne doit pas, d'après F. Montreynaud («Le 8 mars mais pourquoi faire ?», Le Monde diplomatique dé mars 1999), son origine à une grève de couturières new-yorkaises en 1857, mais à une décision prise par la lIe lnternationale pour mobiliser dans les syndicats et contrer les féministes «bourgeoises»: le principe de cette journée aurait été lancé par Clara Zetkin à la conférence des femmes socialistes de 1910 à Copenhague; et son jour choisi par Lénine en 1921 pour commémorer la manifestation des ouvrières de Saint-Pétersbourg en 1917 qui, visant à réclamer du pain et le retour des hommes du front, a contribué au déclenchement de la Révolution de février.


3. Mme de Sévigné! G. Sand, M. Yourcenar, Colette et N. Sarraute y figurent aujourd'hui.


4. Voir A. Bihr et R. Pfefferkorn, L'lntrouvable Egalité, éd. Atelier, 1996, et aussi «Pour la parité domestique», dans le numéro spécial du Monde diplomatique «Femme, le mauvais genre» paru en mars-avril 1999.


5. Tout en saluant SDB, s. Agacinski dénonce par exemple les limites et impasses de son livre: «La liberté exaltée par la philosophe se payait du prix d'un reniement absurde de la nature, de la maternité, et du corps féminin en général.»


6. Le mouvement néomalthusien, qui comptait nombre d'anarchistes et préconisait la «grève des ventres», a alors beaucoup faibli, pour avoir subi une répression très dure au lendemain de la Première Guerre mondiale (autre période de politique nataliste). La législation de 1920 (aujourd'hui suspendue, non supprimée) punit l'avortement de mort, pour «_crime contre l'Etat», et interdit la contraception... Le Planning familial sera créé en 1956 seulement.


7. La féminisation des noms des métiers demeure ainsi d'ordre trés symbolique: doctoresse fait toujours «moins sérieux» que docteur, les professions qui se féminisent se déprécient toujours et vice versa. Mais «la» capitaine Prieur peut plus facilement être déclarée enceinte par les journaux que le capitaine du même nom... et, en politique, à noter que si Edith Cresson refusait d'être appelée Mme «la» ministre, les femmes du gouvernement Jospin le souhaitent.


8. A la vérité, les femmes étaient déjà actives dans une grande proportion avant la Première Guerre mondiale - période où, les hommes étant dans les tranchées, elles ont fait tourner l'économie en travaillant davantage, et surtout de façon plus visible dans les champs ou des secteurs économiques nouveaux pour elles. Auparavant, les «femmes d'agriculteurs» ne se tournaient pas vraiment les pouces, mais elles n'étaient pas considérées comme population laborieuse; et si, jusqu'au passage de la petite à la grande industrie, on comptait énormément d'employées dans le secteur de la couture, elles effectuaient leurs ouvrages de façon artisanale à leur domicile.


9. La préparation actuelle à la Manche mondiale des femmes prévue pour janvier 2000 montre que les tentatives de récupération institutionnelle ne manquent jamais - venant de l'Etat, de l'Eglise ou de l'ONU et que nul mouvement n'est à l'abri d'une régression au niveau de son message. Ainsi, les discussions préparatoires à la Marche, qui se sont tenues au Québec en octobre dernier, ont achoppé sur... Ies questions du droit à l'avortement et de l'homosexualité, et sur la référence au Jubilé de l'an 2000.

Article parue dans Courant alternatif n°90, juin 99.
Ecrit par libertad, le Mardi 26 Novembre 2002, 00:01 dans la rubrique Féminisme pour l'égalité.