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Rencontre avec Elisabeth Badinter
Lu sur Macité.net : "Philosophe et féministe engagée, Elisabeth Badinter ne mâche pas ses mots quand il s'agit de défendre la laïcité.Pote à Pote : En tant qu'intellectuelle attachée aux idéaux des Lumières, considérez-vous que la laïcité est battue en brèche en ce moment ?

Elisabeth Badinter : Je suis convaincue qu'une majorité de la population française, quelle que soit son origine, est pour la laïcité en tant que protection de la liberté de chacun. En revanche, j'entends monter l'intégrisme religieux depuis une bonne dizaine d'années, que ce soit chez les musulmans ou chez les juifs. Ce sont désormais les religieux qui, d'une certaine façon entendent peser sur les communautés. Alors certes la laïcité n'est pas en danger du fait d'un consensus majoritaire pour la faire respecter. Mais la pression des religions est bien plus importante que jadis. Plus grave encore, pendant 20 ans, la montée du différentialisme a fait des dégâts. Cette conception étrange de la liberté qui dit « je fais ce que je veux et je vous emmerde », sans souci des autres, constitue un profond mouvement de société. En France, nous sommes très influencés par cette notion anglo-saxonne de la liberté. Résultat, le communautarisme monte en puissance.

PàP : Dans votre dernier livre (Fausse route, chez Odile Jacob), vous dites que le port du voile chez les jeunes filles musulmanes s'apparente à un anti-universalisme.

E.B : Oui, car on affiche son particularisme religieux comme étant supérieur à la loi commune de la République, comme un défi. Or cette loi commune veut que l'on garde ses particularismes pour la vie privée, et que l'on ôte tout signe ostentatoire dans les lieux publics (école ou administration). La laïcité s'oppose aux particularismes. Elle garantit l'égalité.

PàP : Dans ces conditions, faut-il une loi pour préciser celle de 1905 ?

E.B : La loi peut être inévitable. Mais elle peut surtout être évitable. Je pense que la loi créerait trop de polémiques et de conflits. Pour cela, il faut faire appel aux responsables communautaires, qui possèdent l'autorité pour dire « non au voile » ou « non à la kippa » dans les salles de classe. Dans un délai d'un an, on doit pouvoir se donner les moyens de régler la situation en douceur, avec l'aide de ces responsables. C'est à eux d'expliquer que le voile n'est pas indispensable, que ces signes ostentatoires n'ont pas leur place à l'école. Il faut mettre les religieux au pied du mur. Car le voile pour les jeunes filles musulmanes, pour moi féministe, c'est insupportable. Cela signifie qu'on fait de la femme la responsable du désir de l'homme. Si on accepte le voile aujourd'hui, pourquoi pas une burka demain ?

PàP : Vous écrivez aussi que « la République a abandonné ses quartiers  ». Pensez-vous que le discours identitaire s'est engouffré dans cet «  abandon » ?

E.B : Absolument. A force de bons sentiments et de lâcheté, (on a même respecté l'excision ou la polygamie à une époque au nom de la sacro-sainte « liberté »), on ne s'est pas attaché à faire respecter l'égalité. Les gouvernements successifs n'ont pas jugé bon de le faire parce que sur le fond, cela les arrangeait bien d'abandonner les filles à la pression communautaire, familiale et religieuse. Si en 1989, on avait dit « non au voile », on aurait donné aux filles les moyens de leur propre émancipation. Aujourd'hui, on voit des filles voilées à l'Université. Le voile est quand même le symbole de l'oppression des femmes ! De par le monde, trop de femmes ont été torturées ou assassinées pour avoir combattu l'intégrisme. C'est le moindre des respects à leur égard que de ne pas enfiler les oripeaux de l'oppression pour en faire un soi-disant étendard de liberté.

propos recueillis par Thierry Keller

Ecrit par libertad, le Samedi 5 Juillet 2003, 23:43 dans la rubrique Féminisme pour l'égalité.