Éducation ou conditionnement sexiste ?
Durant mes études d’institutrice, j’ai eu l’occasion de voir toute une série d’expériences pédagogiques ayant pour but de mettre en évidence certaines règles et certaines constantes en matière éducative. Voici deux expériences qui m’ont particulièrement interpellée dans leur mise en évidence du conditionnement raciste et/ou sexiste auxquels sont soumis les élèves dès leur plus jeune âge.
Dans les années ‘60, une institutrice américaine, outrée par la société raciste dans laquelle elle vivait, a fait une expérience avec ses élèves de 8 ans (classe mixte). Un matin, elle leur a dit "j'ai lu une étude scientifique toute récente et vraiment révolutionnaire. Il est prouvé que les enfants qui ont des yeux bruns travaillent beaucoup mieux à l'école que les enfants qui ont les yeux bleus. Alors je vais appliquer cette nouvelle découverte scientifique avec vous."
Pour que tout le monde puisse facilement reconnaître les enfants aux yeux bleus, elle leur a demandé de porter une collerette autour du cou. Puis elle a commencé ses leçons de façon habituelle.
Chaque fois qu'un enfant aux yeux bruns donnait une bonne réponse, elle ajoutait "très bien. Mais c'est tout à fait normal, tu as des yeux bruns". Chaque fois qu'un enfant aux yeux bleus faisait une erreur, elle disait "bah, c'est normal que tu te sois encore trompé: tu as des yeux bleus". Elle prenait parfois toute la classe à partie "les enfants, pourquoi John n'arrive pas à résoudre ce problème?". Réponse en cœur : "parce qu’il a les yeux bleus", "pourquoi Paula a eu les meilleurs résultats au dernier contrôle ?". Réponse en cœur : "parce qu'elle a des yeux bruns".
Concernant la récréation, l'institutrice a décidé que, puisque les enfants aux yeux bruns sont plus intelligents et travaillent mieux, ils avaient le droit de jouer sur toute la cour. Les enfants aux yeux bleus ne pouvaient jouer que dans un tout petit espace qui leur était réservé.
Au fil des jours, les résultats des enfants aux yeux bleus devenaient de plus en plus mauvais. Ils perdaient confiance en eux, n'osaient plus demander la parole de peur de commettre une erreur et d'être la risée des autres. Certains devenaient agressifs, ce à quoi l'institutrice répondait par "vous voyez, les enfants, quels sont les enfants qui se sont encore battus dans la cour ?"
- "deux enfants aux yeux bleus"
- "pourquoi?"
- "parce qu'ils sont des yeux bleus, ils sont plus bêtes, ils ne savent pas jouer sagement pendant la récréation. Ils sont agressifs, ils cherchent toujours à se battre..."
Après trois jours, tous les enfants aux yeux bruns avaient des résultats très bons, étaient attentifs en classe, participaient, prenaient la parole avec beaucoup de confiance en eux. Tandis que tous les enfants aux yeux bleus avaient de mauvais résultats, étaient turbulents, agressifs ou taciturnes et repliés sur eux-mêmes.
Le quatrième jour, l'institutrice dit "j'ai relu l'étude scientifique. Je me suis trompée. Ce ne sont pas les enfants aux yeux bruns qui sont les plus intelligents, mais les enfants aux yeux bleus. Que chaque enfant qui porte une collerette la donne à un enfant aux yeux bruns". Et pendant les trois jours qui ont suivi, elle s'est comportée de la même façon, en valorisant systématiquement les enfants aux yeux bleus et en rabaissant et dénigrant les enfants aux yeux bruns.
Les enfants aux yeux bleus ont pris leur "revanche" et ont obtenu des résultats très bons. Tandis que les enfants aux yeux bruns sont devenus plus mauvais.
A la fin de la semaine, l'institutrice leur a dit "cette étude scientifique n'existe pas. Il n'y a pas de rapport entre la couleur des yeux et les résultats scolaires". A la grande joie des élèves ! Puis ils ont analysé leurs comportements respectifs pendant cette semaine et ont exprimé ce qu'ils ont ressentis dans chacune des situations. Enfin, ils ont fait le parallélisme avec leur société raciste et ont compris pourquoi les Blancs avaient de bien meilleurs résultats que les Noirs à l’école et dans les vie (et pour la petite histoire, on a interviewé ces enfants 20 ans plus tard et ils sont tous devenus d'ardents militants anti-raciste).
Mais quel rapport avec le sexisme?
Outre le fait que le racisme et le sexisme fonctionnent sur les mêmes ressorts, il est intéressant de constater qu'on peut facilement influencer les résultats scolaires et le taux de réussite des enfants vers le haut ou vers le bas, soit en les encourageant et les valorisant, soit en les rabaissant, les ridiculisant ou les dénigrant.
Il arrive souvent que lorsqu'une petite fille n'arrive pas à résoudre un calcul, on lui dise "c'est normal que tu n'y arrives pas, tu es une fille, tu es plus forte en lecture". Et inversement "tu n'aimes pas lire, c'est normal, tu es un garçon, les garçons sont plus forts en math". Non seulement l'instituteur-trice tient parfois ce discours (de plus en plus rarement, j'espère), mais les parents le disent, les amis, l'entourage, les médias, la société en général... Et donc, à force d'avoir conditionné les enfants de la sorte, on finit par constater qu’effectivement, les garçons sont globalement plus forts en math et les filles sont globalement plus fortes dans les branches littéraires.
Voici une autre expérience plus récente portant sur la résolution de problèmes à l'école.
Les problèmes sont composés de deux parties: une partie de compréhension à la lecture (énoncé du problème) et une partie mathématique (résolution du problème). Pour l’expérience, l'exercice a légèrement été camouflé pour que les enfants ne reconnaissent pas au premier coup d'oeil qu'il s'agissait de problèmes: l'énoncé a été présenté légèrement différemment des problèmes classiques, même s'il s'agissait à 100% d'une compréhension à la lecture. De même pour la partie mathématique, les nombres et les signes + - = ont été remplacés par d'autres signes logiques.
Les élèves ont été répartis en deux groupes mixtes. Dans le premier groupe, l'exercice a été présenté comme une compréhension à la lecture. Dans le second groupe, ce même exercice a été présenté comme un exercice de logique mathématique.
Résultat: dans le premier groupe, les filles ont globalement mieux réussi l'exercice, dans le second, c'était les garçons…
Mwana Muke
Dans les années ‘60, une institutrice américaine, outrée par la société raciste dans laquelle elle vivait, a fait une expérience avec ses élèves de 8 ans (classe mixte). Un matin, elle leur a dit "j'ai lu une étude scientifique toute récente et vraiment révolutionnaire. Il est prouvé que les enfants qui ont des yeux bruns travaillent beaucoup mieux à l'école que les enfants qui ont les yeux bleus. Alors je vais appliquer cette nouvelle découverte scientifique avec vous."
Pour que tout le monde puisse facilement reconnaître les enfants aux yeux bleus, elle leur a demandé de porter une collerette autour du cou. Puis elle a commencé ses leçons de façon habituelle.
Chaque fois qu'un enfant aux yeux bruns donnait une bonne réponse, elle ajoutait "très bien. Mais c'est tout à fait normal, tu as des yeux bruns". Chaque fois qu'un enfant aux yeux bleus faisait une erreur, elle disait "bah, c'est normal que tu te sois encore trompé: tu as des yeux bleus". Elle prenait parfois toute la classe à partie "les enfants, pourquoi John n'arrive pas à résoudre ce problème?". Réponse en cœur : "parce qu’il a les yeux bleus", "pourquoi Paula a eu les meilleurs résultats au dernier contrôle ?". Réponse en cœur : "parce qu'elle a des yeux bruns".
Concernant la récréation, l'institutrice a décidé que, puisque les enfants aux yeux bruns sont plus intelligents et travaillent mieux, ils avaient le droit de jouer sur toute la cour. Les enfants aux yeux bleus ne pouvaient jouer que dans un tout petit espace qui leur était réservé.
Au fil des jours, les résultats des enfants aux yeux bleus devenaient de plus en plus mauvais. Ils perdaient confiance en eux, n'osaient plus demander la parole de peur de commettre une erreur et d'être la risée des autres. Certains devenaient agressifs, ce à quoi l'institutrice répondait par "vous voyez, les enfants, quels sont les enfants qui se sont encore battus dans la cour ?"
- "deux enfants aux yeux bleus"
- "pourquoi?"
- "parce qu'ils sont des yeux bleus, ils sont plus bêtes, ils ne savent pas jouer sagement pendant la récréation. Ils sont agressifs, ils cherchent toujours à se battre..."
Après trois jours, tous les enfants aux yeux bruns avaient des résultats très bons, étaient attentifs en classe, participaient, prenaient la parole avec beaucoup de confiance en eux. Tandis que tous les enfants aux yeux bleus avaient de mauvais résultats, étaient turbulents, agressifs ou taciturnes et repliés sur eux-mêmes.
Le quatrième jour, l'institutrice dit "j'ai relu l'étude scientifique. Je me suis trompée. Ce ne sont pas les enfants aux yeux bruns qui sont les plus intelligents, mais les enfants aux yeux bleus. Que chaque enfant qui porte une collerette la donne à un enfant aux yeux bruns". Et pendant les trois jours qui ont suivi, elle s'est comportée de la même façon, en valorisant systématiquement les enfants aux yeux bleus et en rabaissant et dénigrant les enfants aux yeux bruns.
Les enfants aux yeux bleus ont pris leur "revanche" et ont obtenu des résultats très bons. Tandis que les enfants aux yeux bruns sont devenus plus mauvais.
A la fin de la semaine, l'institutrice leur a dit "cette étude scientifique n'existe pas. Il n'y a pas de rapport entre la couleur des yeux et les résultats scolaires". A la grande joie des élèves ! Puis ils ont analysé leurs comportements respectifs pendant cette semaine et ont exprimé ce qu'ils ont ressentis dans chacune des situations. Enfin, ils ont fait le parallélisme avec leur société raciste et ont compris pourquoi les Blancs avaient de bien meilleurs résultats que les Noirs à l’école et dans les vie (et pour la petite histoire, on a interviewé ces enfants 20 ans plus tard et ils sont tous devenus d'ardents militants anti-raciste).
Mais quel rapport avec le sexisme?
Outre le fait que le racisme et le sexisme fonctionnent sur les mêmes ressorts, il est intéressant de constater qu'on peut facilement influencer les résultats scolaires et le taux de réussite des enfants vers le haut ou vers le bas, soit en les encourageant et les valorisant, soit en les rabaissant, les ridiculisant ou les dénigrant.
Il arrive souvent que lorsqu'une petite fille n'arrive pas à résoudre un calcul, on lui dise "c'est normal que tu n'y arrives pas, tu es une fille, tu es plus forte en lecture". Et inversement "tu n'aimes pas lire, c'est normal, tu es un garçon, les garçons sont plus forts en math". Non seulement l'instituteur-trice tient parfois ce discours (de plus en plus rarement, j'espère), mais les parents le disent, les amis, l'entourage, les médias, la société en général... Et donc, à force d'avoir conditionné les enfants de la sorte, on finit par constater qu’effectivement, les garçons sont globalement plus forts en math et les filles sont globalement plus fortes dans les branches littéraires.
Voici une autre expérience plus récente portant sur la résolution de problèmes à l'école.
Les problèmes sont composés de deux parties: une partie de compréhension à la lecture (énoncé du problème) et une partie mathématique (résolution du problème). Pour l’expérience, l'exercice a légèrement été camouflé pour que les enfants ne reconnaissent pas au premier coup d'oeil qu'il s'agissait de problèmes: l'énoncé a été présenté légèrement différemment des problèmes classiques, même s'il s'agissait à 100% d'une compréhension à la lecture. De même pour la partie mathématique, les nombres et les signes + - = ont été remplacés par d'autres signes logiques.
Les élèves ont été répartis en deux groupes mixtes. Dans le premier groupe, l'exercice a été présenté comme une compréhension à la lecture. Dans le second groupe, ce même exercice a été présenté comme un exercice de logique mathématique.
Résultat: dans le premier groupe, les filles ont globalement mieux réussi l'exercice, dans le second, c'était les garçons…
Mwana Muke
Ecrit par Mwana Muke, le Vendredi 25 Avril 2003, 23:36 dans la rubrique Le quotidien.