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Le personnel est politique et inversement !
Paradoxe parmi d'autres de cette fin de siècle, la " libération sexuelle " vantée voici trente ans a débouché sur un retour en force de l'ordre moral jusques et y compris dans les rangs féministes, en particulier aux Etats-Unis. En effet, s'appuyant sur l'idée que, dans une société sexiste, le sexe a pour finalité l'asservissement de la femme, un courant féministe conservateur s'est développé dans ce pays sur le refus de toute collaboration de la femme à sa propre déchéance, donc de toute situation de plaisir partagé avec l'" homme oppresseur ".
Face à ce courant, des femmes de vingt-cinq - trente ans réagissent depuis plusieurs années : elles dénoncent tant l'intolérance des représentants de l'autorité masculine que la pudibonderie et l'hypocrisie de celles qu'elles appellent les " nouvelles victoriennes ", et tirent la sonnette d'alarme contre la montée de l'intégrisme moral. Nous ferons ici la présentation, puis la critique d'un ouvrage qui défend leurs thèses, afin d'examiner la relation existant entre plaisir et projet politique et de conclure par là notre étude sur les thèmes de la beauté, de la séduction, du désir et de la sexualité féminine (voir " De la séduction poil au menton " dans CA 82 et " Dis tes désirs, fais-toi plaisir " dans CA 83).



Le féminisme est-il soluble dans le puritanisme ?


Parlons cul : Contre l'hypocrisie puritaine, de Sallie Tisdale1, offre l'avantage d'aborder de façon très simple et très directe, avec un étonnant mélange de lucidité et de naïveté, des sujets peu traités d'ordinaire, et de s'élever contre l'intolérance, la censure et le moralisme, au nom de la libération sexuelle et du droit à disposer librement de son corps.
D'entrée, Véronique Botte-Hallée2, rédactrice de la préface, présente le clivage qui s'est créé au sein du mouvement féministe américain sur la question de la sexualité féminine, pour conclure : " D'un côté, les réactionnaires, ultras et religieux nostalgiques de l'austérité passée ; de l'autre, les militantes de gauche, désireuses de perpétuer le libéralisme sexuel. "
D'un côté, donc, poursuit-elle, les " filles d'Eve, femme-pécheresse repentie ", appellent de leurs vux une censure qui frappe indistinctement le hardcore, l'art, le cinéma, la littérature ; elles traquent le geste entre hommes et femmes, la drague, les gros mots sexistes et surveillent les déviantes. Parce qu'elles considèrent l'acte sexuel comme une agression pure et simple, voire un viol des créatures innocentes et sans défense que sont les femmes, ces féministes rejettent en bloc érotisme et jouissance, allant jusqu'à s'élever contre les manuels d'éducation sexuelle et les campagnes de prévention par rapport à la transmission du virus HIV : il s'agit de protéger les femmes de leur propre sexualité. Elles refusent de ce fait toute réappropriation par les femmes de leur corps et de leur sexualité ainsi que toute prise en main de leur destin. L'outrance de leur discours se comprend, certes, comme réaction à une situation oppressive donnée. Mais la peur de l'homme, la haine, l'indifférence ou la concurrence envers lui les conduisent à une attitude certainement pas libératrice pour le sexe auquel elles appartiennent : rejoignant les ultraconservateurs qui, eux, veulent enchaîner les femmes à leur rôle d'épouse et de génitrice assujettie à l'autorité masculine, elles impulsent une attitude encore plus contraignante à leur égard en les enjoignant de taire des désirs sexuels dont elles se méfient.
La vision négative qu'ont les " nouvelles victoriennes " de la sexualité explique sans doute en partie pourquoi, alors que 71 % des Américaines déclarent aujourd'hui vouloir l'égalité sociale, politique et économique des femmes avec les hommes, 50 % seulement se disent féministes. Et pourquoi une nouvelle génération de féministes affirme pour sa part avec vigueur la valeur positive de la sexualité.
Face aux conservatrices, en effet, les " filles de Lilith, séductrice éprise de liberté, ambivalente et jouisseuse ", distinguent la lutte contre le sexisme de la lutte contre le sexe. Elles ne voient pas forcément l'homme comme un immonde prédateur dénué de tout scrupule, ni le " harcèlement sexuel " comme un fléau inévitable et inhérent aux rapports humains hétérosexuels ; et elles partent avec un bel entrain à la découverte de leur corps, recherchant les mécanismes du plaisir, de l'excitation et de l'orgasme. Conscientes d'avoir à composer avec les incontournables contradictions de la nature humaine (des deux sexes), elles s'interrogent sur l'amour et l'érotisme -- passant en revue bisexualité, travestissement, androgynie, transsexualité -- sur la base de leur vécu propre (préférences, sentiments, émotions, techniques) pour poser leurs contradictions, leurs questionnements, et s'efforcer de renverser les tabous.
Mais ces jeunes féministes tombent parfois à leur tour dans certains pièges, par une trop faible prise en compte dans leurs analyses de la société patriarcale et capitaliste existante -- comme on va le voir à travers l'étude de certains thèmes




Désir, es-tu là ?


Par son ouvrage publié voici quatre ans aux Etats-Unis, S. Tisdale s'efforce, nous dit-elle, d'échapper au vieux carcan que constituent l'éducation et les convenances découlant de l'héritage judéo-chrétien -- carcan qui marque l'inconscient collectif de nos sociétés modernes, à travers les sentiments de honte, de péché et de culpabilité entretenus par les contingences sociales et les instances politiques. Le judéo-christianisme cantonne la sexualité de la femme à la reproduction, car cette sexualité lui paraît menaçante pour l'homme3 : la femme ne doit pas éprouver de plaisir sexuel, et la sexualité non reproductive (partant, la contraception) est condamnée pour des raisons économiques : elle s'oppose à l'héritage et à la succession, qui sont nécessaires au développement de l'économie capitaliste.
De là l'homophobie et les poursuites contre l'homosexualité. De là un traitement des comportements sexuels différent selon les sexes : la " femme facile " est mal vue, pas le " don Juan impénitent ". Et de là le vieux fond de misogynie qui sert toujours de lit à l'intégrisme : ses partisans invoquent à la fois le pouvoir maléfique de la sexualité féminine et les terribles conséquences de la souillure sexuelle chez la " femme pure "
Pour se libérer du contrôle social et se détacher des réflexes qui tendent à nous faire exclure de nos habitudes et fonctionnement " ce qui nous est par trop étranger, ou trop familier, comme l'Homme ou plus précisément son sexe ", S. Tisdale (nous et se) propose de recourir aux fantasmes afin de découvrir un meilleur mode de relation à autrui, dans le cadre d'une " expérience sociale et émotionnelle " : il faut privilégier la spontanéité absolue, car le sexe, différent de l'amour, est " aventureux, polygame et amoral ". Se dégager du " politiquement correct " qui oblige à gommer toute trace de sexualité dans les rapports humains en général4, mais aussi de la peur de la nudité et de la censure de l'image personnelle qui fait trouver le corps toujours encombrant et trop provocant. L'expression de la sexualité repose selon elle sur trois grands principes : on doit s'abstenir de s'entre-déchirer et de s'infliger des souffrances réciproques ; chacun-e a le droit de décider librement de ce qu'il-elle souhaite faire ; l'être humain -- sa vie, son parcours et son corps -- est fondamentalement bon. Sur ces bases, la nature profondément bisexuelle de nos pulsions doit nous permettre, pense-t-elle, d'échapper à la dualité hétérosexuelle classique, de nous positionner dans une optique d'égalité face à la personne qui suscite en nous une excitation et de faire l'amour avec un être dont le sexe n'est plus un obstacle ou une menace. Contre la guerre des sexes qui sévit aujourd'hui, elle prône donc une sorte d'hermaphrodisme moderne : être tour à tour homme et femme afin d'échapper au séparatisme du sexe.


Dessine-moi une femme






Lorsqu'une femme n'adopte pas les symboles dits féminins (maquillage, etc.), on déclare qu'elle n'est pas " élégante " ou " féminine ", mais pas forcément qu'elle n'est pas une femme. Peut-on donc définir une femme juste comme quelqu'un qui a l'apparence et le comportement de la convention sociale portant ce nom ? s'interroge S. Tisdale. Autrement dit, un vagin et un " déguisement féminin " (objets et comportements attribués aux femmes) suffisent-ils à caractériser l'identité féminine ? Les emblèmes de la féminité, souvent conçus pour restreindre la liberté de mouvement, sont décoratifs avant d'être fonctionnels et réclament une attention qui détourne l'esprit de toute autre activité ; aussi, en les adoptant, les transsexuels ont-ils conscience de jouer un rôle. Mais l'identité sexuelle dépend en fait des hormones, constate S. Tisdale, et les gens sont en majorité bisexuels à des degrés divers -- une affirmation qu'elle traduit ainsi : " Nous sommes tous capables de pénétrer comme d'être pénétrés, d'être dominants comme soumis, masculins comme féminins, et d'être sur comme sous notre partenaire durant l'amour. "
Seulement voilà : le désir sexuel féminin n'a pas le droit d'expression : parce qu'il est vécu par les femmes elles-mêmes comme une forme de dévergondage, que leur éducation leur interdit de se montrer aussi entreprenantes, voraces et détachées affectivement que les hommes, elles s'autocensurent. Pourtant, est-il si difficile pour elles de vivre une relation sexuelle dépourvue de sentiment, réduite à l'acte sexuel ? Le cliché selon lequel elles s'intéressent davantage à la relation qu'au sexe contient en réalité un message à leur intention : c'est ce qu'elles sont tenues de faire. Elles ne se comporteraient sans doute pas ainsi s'il n'existait d'innombrables formes de pression sociale et culturelle les empêchant d'extérioriser leur désir. Ce qu'on nous présente comme la " nature " des femmes découle en fait de deux données : elles ne sont pas censées exprimer de désir, et elles en paieront le prix si elles s'y essaient néanmoins, car la domination masculine impose un contrôle permanent sur leur sexualité (voir la clitoridectomie, pour ne parler que des contraintes les plus évidentes ou encore l'obligation de la virginité, moins cotée socialement qu'avant, mais qui demeure en bonne place parmi les fantasmes masculins).
Il s'agit donc pour les femmes de se confronter au " sexe opposé ", mais semblable démarche ne peut s'effectuer que sur le mode de la transgression, explique S. Tisdale, car " l'interdit appelle le désir, [] le frisson et la séduction ". Tous les fantasmes sont inavouables, " tant qu'on n'éprouve pas le besoin impérieux de les réaliser ou de les exorciser par le Simulacre et le Jeu ". Les tabous servent à protéger l'ordre établi, à canaliser l'énergie des individus et des groupes dans certaines directions, et à les détourner de celles qui sont jugées néfastes -- en délimitant des repères identifiables par le groupe et en élaborant une morale qui dicte la norme en matière de comportements. De ce fait, leur transgression, doublement attractive puisque l'idée même d'enfreindre l'interdit peut être aussi jouissive que l'acte proprement dit, crée le désordre.
La perversité, comme l'obscénité, est une notion relative car définie en fonction d'une sexualité normative : selon la culture dominante de l'époque, constate l'auteur, elle peut recouvrir l'adultère, l'inceste, l'homosexualité, la prostitution, la pédophilie, la sexualité des enfants la masturbation, la fellation, le cunnilingus5, la sodomie6 l'exhibitionnisme, le voyeurisme ou le recours aux fantasmes. Et ce, parce qu'il existe une inadéquation entre les fantasmes (en prise directe avec la sexualité) et le discours alors en vogue.
Pourtant, les fantasmes de séduction sont aussi importants que leur objet : " Histoires que nous nous racontons, aux autres et à nous-mêmes, sur les raisons qui font que telle personne attire les regards et pas telle autre, sur ce qui fait que l'on se met dans tous ses états à propos de quelqu'un alors que cela semble absurde, sur ce qui nous pousse à nous pencher si longtemps sur les détails anatomiques de la personne qui nous intéresse sur le moment, quelle qu'elle puisse être. " Le fantasme du " pur amour " est ainsi, pour S. Tisdale, la traduction du désir que les autres devinent ce qu'on veut, le satisfassent et le comprennent. Le fantasme de domination est en fait la domination par son propre sexe, qui exprime ce qu'il désire tandis que l'esprit laisse courir. Le fantasme du viol -- couramment répandu chez les femmes, assurent les " spécialistes " -- traduit, lui, une domination de ses propres pulsions (la " victime " choisit son " bourreau " et les cruautés qui lui sont infligées) plutôt que celle de l'Autre, et ne s'accompagne pas forcément d'une volonté de voir l'acte réalisé ; il se satisfait d'être fondé sur le consentement réciproque d'une domination parodique
Autres fantasmes très fréquents chez les hommes et les femmes : faire l'amour avec un-e inconnu-e ; être pénétré-e par l'anus pendant l'amour les fantasmes de soumission étant, semble-t-il, quant à eux beaucoup plus courants pour les deux sexes que ceux de domination.
L'analyse de la sexualité pousse à l'abandon, et S. Tidale insiste là-dessus : on accepte d'être vu-e dans son intégralité et sa vérité, de laisser tomber ses défenses. Les rapports sexuels sont très intenses parce que liés à la mort. Cette " petite mort " implique en effet une approche très grande de l'Autre : on se livre, s'offre, s'abandonne quand la confiance s'est établie. Mais avouer un amour, avoir des gestes spontanés vers l'Autre, affirmer un désir sont autant de comportements peu évidents pour les femmes, qui ont appris à attendre que les hommes fassent le premier pas puis à faire passer indirectement le message de réponse, pour se comporter comme des " filles bien ". Certes, le comportement attendu des jeunes filles varie selon les classes sociales (il n'est sans doute pas cadré de façon aussi contraignante dans les milieux ouvriers que chez les bourgeois, par exemple) et le message idéologique dominant (via la famille ou l'école) se heurte désormais à d'autres messages sociaux (via le travail ou les médias) avec l'indépendance matérielle de nombreuses femmes et la contraception ; néanmoins, l'emprise patriarcale demeure en général assez forte dans l'éducation des petites filles. De plus, beaucoup de femmes autocensurent leurs désirs, par rapport à leur partenaire habituel (pour éviter sa jalousie, des complications dans leur relation), mais aussi à cause de la difficulté qu'il y a à vivre des relations multiples dans notre société, sous le regard moralisateur des autres.
Cependant, certaines idées établies genre " Les hommes cherchent à créer l'intimité au moyen du sexe alors que les femmes viennent au sexe quand ces conditions sont déjà créées " ou " Les femmes ont peur de l'acte et les hommes de ses conséquences " ont-elles une réalité autre que celle de correspondre à un comportement social imposé ?



Recherche orgasme désespérément


Les " nouvelles victoriennes " ont peur de leur sexe, estime S. Tisdale. Elles tentent d'oblitérer leurs pulsions et de bâillonner leur libido jusqu'à l'obsession mais " ne pensent qu'à ça " alors même qu'elles veulent l'interdire. Les femmes qui subissent les " ignominies7 " sexuelles sont toujours décrites dans leur discours (censé les défendre) comme figées, passives, possédées, " chosifiées ".
En fait, le temps de la reine Victoria -- où la femme convenable devait désirer avoir-des-enfants-un-point-c'est-tout, et l'homme également convenable ne manifester de désir qu'à l'égard des prostituées -- est quelque peu dépassé. Si le phallus demeure le symbole de la sexualité et le moyen d'exercer un pouvoir pour les hommes au royaume du patriarcat, les femmes n'y sont plus forcément vues comme une version miniature et incomplète des hommes, avec un clitoris en " pénis atrophié " ; et il arrive que la recherche pour l'Autre du plaisir, détaché de la procréation, s'effectue dans les deux sens.
L'orgasme, qui mélange plaisir et tension, relâchement, abandon et retour à la normale, est nécessaire à l'équilibre psychique de tout individu. Reich considérait le fascisme comme la résultante d'une peur de l'orgasme, rappelle S. Tisdale, et la censure comme le produit de frustrations sexuelles. La répression sexuelle socialisée provoquant une névrose de la société tout entière (de même que la répression sexuelle individuelle mène à une névrose individuelle), il affirmait que la libération sexuelle conduit au socialisme

Le sexe, le sexe Y a pas autre chose dans la vie ?

Parlons cul est un livre au style très vivant et non dénué d'humour, qui mélange récit-témoignage et considérations théoriques, anecdotes et réflexions érudites, mais avec une fascination pour des sujets tels que la transsexualité quelquefois un peu agaçante par ses côtés nombriliste et candide. La critique principale que l'on pourrait cependant adresser à son auteur est qu'elle ne prend pas suffisamment en compte les fondements de la société patriarcale et capitaliste : elle semble considérer cette société comme immuable, et chercher davantage son aménagement-amélioration ou son lent délitement -- pour que les femmes y soient plus et mieux à égalité avec les hommes -- que sa destruction alors qu'il ne saurait y avoir de véritable libération sexuelle sans révolution véritable, et vice versa.
En découle un discours assez ambigu sur la pornographie et la prostitution -- lesquelles, observe S. Tisdale, suscitent un mélange de fascination et de répulsion parce qu'elles se réduisent au sexe pour le sexe. Si elle a raison de s'élever contre le moralisme qui sous-tend en général les critiques portées à l'égard de ces deux " institutions ", S. Tisdale a tort de perdre trop souvent de vue l'environnement dans lequel elles s'inscrivent comme autant d'outils indispensables pour lui, à l'égal de la morale ou la famille.
Elle énonce bien certaines vérités masquées par l'hypocrisie régnante : la pornographie (en cassettes vidéo) intéresse les classes moyennes aujourd'hui (et les élites sociales masculines hier) plus que les classes populaires ; il existe des fonds pornos (baptisés " littérature érotique " pour leur qualité artistique) dans toutes les grandes bibliothèques alors que la pornographie est officiellement vilipendée et critiquée ; elle est loin d'être le seul moyen utilisé pour faire des gens " les marionnettes de [la] volonté " d'autres gens ; elle n'est que le produit d'un système ayant la violence sexuelle pour norme -- sexe et violence sont présents partout dans notre culture (voir les médias et la publicité), et pas seulement dans les films pornos, mais la peur du sexe et l'obsession sexuelle qui règnent à la fois dans la société la rendent intolérante par rapport à la sexualité
S. Tisdale estime pour sa part : que la pornographie se doit d'être " politiquement incorrecte ", et de se situer en dehors des conventions reconnues et acceptées dans le cadre familial et culturel ; qu'elle est intéressante en ce qu'elle isole le sexe de la reproduction, du mariage et du couple hétéro, donc de formes d'oppression pour la femme ; qu'elle permet de révéler ce que chacun-e a au fond de soi, certains secrets pas toujours liés à la sexualité (par rapport à la répression, au sado-masochisme8) ; que l'absence d'images sexuelles n'est pas mieux que les " images imparfaites " fournies sur le sexe par la pornographie ; que le mépris manifesté par les féministes puritaines à l'égard de cette dernière trahit un mépris certain pour les gens qui la consomment et que les films pornos renferment pour certains plus d'humour que les écrits de ces féministes puritaines !
Pour remédier à la situation actuelle, elle prône donc la participation active de femmes à la production pornographique (plutôt que l'interdiction de celle-ci), afin de l'orienter vers de nouvelles perspectives qui incluraient une vision féminine de la sexualité. Refusant de voir les femmes confinées au rôle de victime, de mère ou de vierge, S. Tisdale préconise de plus que celles-ci visitent les sex-shops, et s'y imposent là comme dans la rue ; et elle vante la pornographie lesbienne qui se développe actuellement, car la liberté d'information en matière sexuelle ouvre la voie à d'autres pratiques sexuelles
Malheureusement, tant que prévaut le système patriarcal et capitaliste, on ne voit guère comment pareil changement pourrait intervenir dans la pornographie. Celle-ci présente en effet une image de la sexualité masculine, de ses fantasmes et désirs ; elle peut, avec la (fausse) intégration des femmes dans la vie publique -- notamment en raison de leur désormais forte participation au salariat, de l'importance sociale prise par les classes moyennes et leur vision du monde --, évoluer en partie dans sa conception de l'érotisme, car un tel marché est susceptible d'intéresser certains capitalistes du fait de sa rentabilité ; mais elle est incapable d'impulser seule et de façon globale une rupture avec les valeurs dominantes.
De même en ce qui concerne la prostitution. S. Tisdale évoque à juste titre le fond de racisme sur lequel cette dernière s'inscrit aux Etats-Unis -- et ailleurs : 85 % des prostituées américaines incarcérées sont des femmes de couleur (et les proxénètes noirs sont plus " embêtés " par la police que leurs homologues blancs). Elle rappelle là aussi certaines réalités, comme la présence notable de lesbiennes ou de bisexuelles, mais aussi de jeunes hommes blancs " sains et beaux gosses, d'assez bon niveau socioculturel, et gays ", parmi les personnes qui se prostituent (pour contrebalancer le cliché de la pauvre fille forcée par le mac dont elle est amoureuse de descendre sur le trottoir) Mais, si on peut comprendre la nécessité pour ces personnes de se regrouper, afin de mieux se défendre, de s'autonomiser, etc., et les soutenir dans leur action contre leur oppression, le discours de S. Tisdale sur " ce métier comme un autre " se révèle un peu léger. Certes, chacun-e se débrouille du mieux qu'il peut avec sa vie, face au système capitaliste, et il n'y a pas lieu de juger l'option qu'il ou elle arrête pour gagner sa vie dès l'instant que l'exploitation d'autrui n'en fait pas partie. Mais de là à présenter la prostitution comme un " mode d'affranchissement du patriarcat et de l'argent " alors que sa fonction même est imposée par le patriarcat et l'argent, ou la pornographie comme un " mode d'expression " qui aurait la valeur d'un " exutoire nécessaire " alors qu'il faudrait bien plutôt se battre pour qu'aucun exutoire à la misère sexuelle ne soit plus nécessaire, il y a une marge que S. Tisdale franchit allégrement, à force de vouloir banaliser -- relativiser et dépassionner -- de tels sujets. S'il est vrai que des femmes se prostituent volontairement pour gagner (plus ou moins, selon les cas) bien leur vie, ce " choix " qui reste dans le cadre d'une oppression féminine et d'une aliénation économique et sociale générale ne saurait en constituer véritablement un et être promu au rang des actes subversifs à prôner.



Et la révolution, dans tout ça ?

S. Tisdale croit également que la multiplication des clubs échangistes9, magazines underground et spectacles érotiques subversifs -- qui représentent d'après elle la sexualité contestataire -- peut conduire à un bouleversement général, car " le sexe est une menace, il sape toutes les conventions qui régissent notre pensée ". Si cette dernière assertion est vraie, abattre la morale sexuelle en libérant le " principe de plaisir " ne suffit cependant pas à détruire, ni surtout à remplacer le système sur lequel elle repose : la recherche du plaisir doit s'inscrire dans un projet politique collectif, sous peine d'ouvrir la porte à tous les rapports de pouvoir au niveau individuel, au lieu d'aller vers une libération véritable de toutes et tous -- et pas seulement sur le plan sexuel. Autrement dit, la fin de la domination entre les individus, en particulier de la domination sexiste, n'est concevable qu'accompagnée d'une révolution établissant l'égalité entre les membres des deux sexes dans une société sans classes. Et ce n'est pas parce que cette réalité nous paraît aujourd'hui fort lointaine qu'il faut la perdre de vue.
Par ailleurs, si parler aux autres, avec un maximum de franchise, de ses désirs et accepter ses fantasmes comme partie intégrante de soi permet de vivre sa sexualité du mieux possible, la réalisation de tous les fantasmes est-elle forcément possible ou souhaitable ? Provenant des rôles sociaux imposés par le patriarcat, ils peuvent en être la caricature comme le reflet inversé (pour une femme, envie de rapports sado-masochistes dans le second rôle ou au contraire désir d'être un homme), dévoiler ainsi une oppression sans pour autant la remettre en question dans un dessein libérateur.
Il faut s'élever contre la censure de toute forme de parole et d'expression, et contre la morale et le discours sur l'immoralité, parce que, comme le dit S. Tisdale, " la censure est toujours le fait de l'ordre établi, car lui seul a intérêt à censurer. [] On définit en partie l'obscénité en fonction des valeurs de notre société, mais les bases politiques de cette dernière ont été jetées par une classe d'hommes bien définie, et nos valeurs sociales sont avant tout le reflet d'un vécu historiquement masculin ". Toutefois, elle devrait pousser plus loin ce raisonnement, pour rechercher, au lieu d'un mieux-être individuel dans la société patriarcale, un mieux-être collectif dans une société non patriarcale.
Cela implique de réfléchir sur la personne humaine sexe compris, afin de l'inciter à assumer en pleine lumière tout ce qu'elle est, plutôt que de perpétuer le faux débat sur le public (ou politique, domaine masculin) et le privé (ou intime, domaine féminin)10. Si le sexe est caché, censuré au nom de la morale, c'est bien parce que sa révélation menacerait tout l'édifice de la société patriarcale. Il s'agit donc, pour chacune et chacun, d'assumer ses désirs -- taire la sexualité revenant en général à conforter les valeurs les plus rétrogrades, et refuser de discuter de soi étant souvent un refus d'admettre ce qu'on est. Le fondement de la société patriarcale est et demeure l'omnipotence des hommes, qui s'appuie sur une double mutilation des femmes, tenues d'être soit la maman soit la putain. Et, en même temps qu'elle maintient les hommes dans leur pouvoir, cette répartition des " tâches " imposée aux femmes les divise : les unes sont là pour consolider l'image des hommes en tant qu'êtres rationnels, les autres pour satisfaire leurs pulsions. Une réflexion sur la personne humaine en général doit donc prendre en compte l'esprit et le corps ensemble, c'est-à-dire les contradictions entre le rationnel et les pulsions. Ce faisant, on s'aperçoit que l'exercice du pouvoir masculin tient par le seul clivage entre le public et le privé : en effet, alors que dans la première de ces sphères l'homme se montre apparemment unifié, cohérent, dans la seconde il se révèle déchiré et incohérent, mais la séparation des deux permet la perpétuation d'un système dont bon nombre de femmes se font les gardiennes.
Au terme de cette étude -- fruit de lectures, de discussions avec des ami-e-s et des camarades, d'expériences vécues, d'observations et de réflexions personnelles --, on peut dire qu'il y a un choix politique à prôner dans le domaine sexuel : la mobilisation pour faire prendre conscience des rapports d'oppression dans l'érotisme hétérosexuel dominant ; la lutte contre la représentation et le traitement des femmes comme objets, afin de faire reconnaître la coexistence dans les rapports sexuels comme ailleurs de deux sujets de sexe différent, et la réciprocité de leur désir. C'est le premier pas pour les femmes vers l'affirmation de soi. Mais elles ne trouveront véritablement leur place dans la société, à égalité avec les hommes sur tous les terrains y compris décisionnels, que quand, loin de minimiser le désir sexuel de ceux-ci, de s'épuiser à revendiquer leur pouvoir à elles dans la sphère privée tandis qu'ils règnent dans la sphère publique, et de passer leur temps et leur énergie soit à se déprécier soit à assouvir le désir masculin, elles se battront pour que toutes les femmes et tous les hommes puissent vivre leur sexualité, quelle qu'elle soit, sans avoir à se cacher ; qu'elles et ils puissent, donc, penser sans le clivage du public et du privé, pour penser la réalité.


Vanina


1. Dagorno, 1997.
2. Egalement auteur du Désir hors la loi le puritanisme nouveau est arrivé (L'Esprit frappeur, 1998), petit ouvrage qui approfondit les mêmes thèmes.
3. Le vagina dentata ou " vagin denté " (brrr) est une vision cauchemardesque pour de nombreux hommes, note S. Tisdale -- la pornographie traduit cette image d'une sexualité féminine insatiable et dévorante. Curieux paradoxe permanent de l'histoire des sociétés, les femmes constituent le " sexe faible " et sont inférieures à tous égards aux hommes, et pourtant ceux-ci les ont de tous temps vécues comme une menace constante.
4. En réalité, note-t-elle, le rapport sexuel commence très jeune pour chacun et chacune -- dès qu'une sensation de plaisir est éprouvée ; et la sexualité est parfois plus présente dans un simple regard, un geste, un frôlement du corps que dans l'acte sexuel lui-même.
5. Pourquoi les parties du corps devraient-elles être conçues uniquement pour un usage spécifique ? s'interroge l'auteur. Si les rapports bucco-génitaux sont aussi forts, c'est parce qu'ils n'obéissent pas à des impératifs biologiques et c'est pourquoi on n'en parle jamais.
6. Interdite dans de nombreux Etats américains, même en privé, elle y est appelée greek. Mais les chrétiens du Moyen Age la désignaient comme une pratique " turque ", observe S. Tisdale ; et, à l'époque de Shakespeare, les Anglais la considéraient comme une " coutume italienne ", les Français comme un " vice allemand " La désignation de la sodomie comme " étrangère " vise peut-être à convaincre qu'aucun autochtone n'est capable de la pratiquer.
7. " Bitte " ou " chatte " sont des mots devenus péjoratifs, remarque l'auteur. Avant, " baiser " signifiait juste le rapport sexuel ; aujourd'hui, il abonde en significations honteuses, scabreuses et insultantes. L'acte sexuel est désigné par des expressions affadies telles que : " faire l'amour " ou " coucher ensemble ", sinon " se connaître charnellement (!) ", alors que " baiser " a le mérite de présenter l'acte sans ambiguïté.
8. Celui-ci n'est pas fondé sur une division rigide entre personnes dominatrices et personnes soumises, affirme l'auteur, parce que des pulsions de domination et de soumission existent chez tous les individus. Majoritairement pratiqué par des hommes hétéros cherchant à se faire dominer, il repose sur la négociation : l'obligation de formuler sans cesse une demande d'ordre sexuel crée une honte indicible, et entraîne un sentiment de libération qui provient de la demande même. C'est pourquoi il met en évidence l'existence de rapports de pouvoir complexes et profonds, à la base des relations humaines.
9. Si ces derniers sont " oppressants et avilissants ", quid du mariage, de la monogamie et de la famille nucléaire, des rôles sexuels traditionnels et de la culture hétéropatriarcale ? questionne-t-elle.
10. La réalisatrice Jeanne Labrune développe très bien cette idée à propos de Clinton et de son Monicagate dans une tribune libre de Libération, " Ce que cache cette vie privée ", parue le 22 septembre dernier. Selon elle, le pouvoir masculin agit dans une schizophrénie (ma tête ignore ce que veut mon sexe) qui divise les femmes en deux catégories : femmes de tête (ou de cur) et femmes de cul , tandis que l'homme public est, à l'image d'un dieu, un être unifié et sans contradictions. C'est pourquoi une femme ne peut réellement assumer des fonctions politiques : elle n'a jamais que l'illusion du pouvoir, dans une société qui la nie ou la réduit à être un simple soutien de l'homme.
Ecrit par libertad, le Mercredi 4 Décembre 2002, 23:39 dans la rubrique Féminisme pour l'égalité.