La résidence alternée: les enjeux d'un débat
--> par Gérard Neyrand
Lu sur Au féminin.com: Le passage progressif et conflictuel à un ordre familial qui seréfère plus explicitement aux principes de la démocratie, en remettant en cause une certaine naturalisation des rôles socialement dévolus à chaque sexe, ne peut s’effectuer de façon aisée et harmonieuse. Ce qui est en jeu mobilise un renouvellement des conceptions de l’ordre privé, et plus globalement de l’ordre du monde, et ne peut s’effectuer sans engendrer à la fois de violentes oppositions et des conséquences majeures sur les fonctionnements familiaux. L’une de ces conséquences réside dans la multiplication des séparations conjugales . Ce qui a eu pour effet le renouvellement de la question du lieu de vie de l’enfant après la séparation de ses parents.
Le principe juridique adopté depuis 1975 pour traiter de cette question n’est plus la référence aux torts de chaque conjoint dans la séparation, mais bien la volonté de préservation de l’intérêt de l’enfant. S’y est progressivement adjoint un deuxième principe, qui vise à rappeler la participation des deux parents à la filiation : la biparentalité. Il trouve son expression dans l’idée de coparentalité maintenue après la séparation, et de préservation des liens de l’enfant à ses deux parents.
Dans ce contexte, la résidence de l’enfant en alternance aux deux domiciles de ses parents séparés semble représenter une sorte d’idéal de bonne gestion parentale des conséquences de la séparation. Celle-ci permettrait tout à la fois à l’enfant de préserver son intérêt, en assurant le maintien effectif des liens, et aux ex-conjoints de se projeter dans un avenir dégagé de l’excessif impact du désaccord conjugal, en leur accordant à tour de rôle un temps pour soi. Elle répondrait ainsi à un souci de prendre en compte aussi bien le bien-être de l’enfant que celui des parents.
De fait, de nombreux enfants se déclarent satisfaits de cette solution, qui pour eux apparaît la moins mauvaise et dont ils ne voudraient surtout pas changer. En parallèle, un indice signale la disponibilité psychologique des parents qui pratiquent ce type de résidence avec leurs enfants : le taux de remise en couple des parents qui partagent cette résidence est équivalent à celui des parents « non gardiens », loin devant ceux qui s’occupent seuls de la quotidienneté de l’enfant (Neyrand, 1994/2004).
Ainsi, deux dimensions apparemment divergentes de la vie relationnelle sont conjointement préservées des conséquences que la crise conjugale semblait devoir produire aussi bien sur les liens parentaux que sur les perspectives relationnelles des ex-conjoints. Avec la résidence alternée, sont réaffirmés, d’un côté le modèle social de la coparentalité comme garante du bien-être de l’enfant dans une inscription généalogique et relationnelle préservée ; de l’autre, le modèle de la vie en couple comme moyen privilégié de la réalisation de soi dans le rapport amoureux. Sans doute est-ce l’une des raisons majeures pour lesquelles le législateur a fini par la reconnaître comme principe légitime de prise en charge de l’enfant par ses parents séparés, en reconnaissant sa possibilité au même titre que la résidence habituelle chez l’un d’entre eux, avec la loi du 4 mars 2002.
Pourtant cette solution a toujours de nombreux détracteurs, au nom même de ce qui est invoqué par ses partisans pour la défendre, et qui fait trop unanimement consensus pour ne pas être suspecté de masquer une réalité bien plus complexe : l’intérêt de l’enfant. Celui-ci se trouve pour le moins sujet à des interprétations divergentes, et, quelle que soit la solution retenue, on constate que la réalité des relations post-séparation est loin de se conformer à l’idéal relationnel promu par les uns ou les autres, y compris chez ceux qui vont s’essayer à mettre en pratiques une alternance lorsque le droit leur reconnaît une légitimité à le faire. C’est depuis peu le cas en France, et depuis plus longtemps dans certains états nord-américains .
La question du lieu de vie de l’enfant après la séparation conjugale est ainsi devenue une question centrale pour notre ordre social, en ce qu’elle est symptomatique des difficultés que rencontre notre société à assumer le passage d’une certaine organisation des rapports entre les sexes et entre les générations à une autre, à travers les perturbations que la mutation en cours génère. Si cette mutation s’effectue de façon si douloureuse et si controversée, c’est bien qu’elle vient remettre en cause quelque chose de notre organisation anthropologique ancestrale, et de ses implications sociales, relationnelles, psychiques.
Il s’avère alors nécessaire de dégager les enjeux que cette polémique sur le caractère bien ou mal fondé de l’alternance parentale recouvre. Plus fondamentalement encore, il convient de s’interroger sur les soubassements des positions évoquées, c’est-à-dire sur les conceptions des relations hommes-femmes et de la parentalité que la question de la résidence alternée en vient à opposer .
1/ Problématisation socio-historique d’une question controversée
En France, depuis la récente reconnaissance légale de la résidence alternée comme constituant l’une des deux grandes possibilités de résidence de l’enfant après la séparation conjugale, de plus en plus de parents, trouvant dans les médias une formidable chambre d’écho à leurs préoccupations, se demandent s’il ne serait pas plus profitable à tout le monde de partager la résidence de l’enfant.
Si un mouvement en ce sens semble se dessiner, comme on pouvait logiquement le prévoir , il n’empêche que la chose ne va pas sans difficulté, car elle s’inscrit dans une dynamique sociale profondément contradictoire. S’oppose la pesanteur des logiques antérieures de fonctionnement social à la force d’innovation des nouvelles logiques relationnelles mises en place depuis les années 60. Celles-ci ont promu, dans un contexte de dissociation de la sexualité et de la procréation, aussi bien la prévalence des sentiments sur les autres dimensions de la conjugalité que l’affirmation de l’enfant, tant pour lui même (Renaut, 2002) que comme moyen de réalisation personnelle (Gavarini, 2001). En même temps était affirmée l’égalité entre les sexes sur le plan professionnel, politique, relationnel et familial. Une telle évolution n’est pas allée sans de lourdes conséquences, qui ont rappelé à quel point ce mouvement est porteur de contradictions normatives. Ces contradictions prennent effet aussi bien au niveau social qu’interpersonnel, et rendent compte tout autant de la montée des séparations conjugales que de la diversification des structures relationnelles de vie.
Au centre de ces mutations se trouve la remise en cause du mariage. Il n’est plus ce sacrement indissoluble qui fondait la famille en définissant pour un couple le cadre de la sexualité, de la procréation et la parentalité, et qui liait de façon définitive ces différentes dimensions. Le statut de l’union a tellement changé sous l’effet des nouvelles attitudes revendicatrices d’égalité et d’autonomie qu’aujourd’hui la majorité des premières naissances s’effectuent en union libre dans la plupart des pays occidentaux, et que l’union est devenue révocable si elle ne satisfait plus l’un des partenaires, et ce malgré la présence de jeunes enfants.
Le caractère inconditionnel et indissoluble du lien s’est déplacé sur la relation à l’enfant (Théry, 1996), aussi bien pour le discours social et son expression médiatique, où l’enfant est reconnu comme un sujet dont la présence est nécessaire à la réalisation de la nouvelle norme sociale d’accomplissement de soi, que pour la logique juridique, où le caractère inaltérable d’un lien parental partagé par les deux parents est réaffirmé comme une norme légitime structurant le champ symbolique.
On sait que dans la réalité les choses sont un peu plus complexes que la simple affirmation d’une coparentalité idéale, qui a souvent bien du mal à être mise en œuvre. Ainsi de l’affaiblissement d’un certain nombre de liens parentaux – surtout paternels – après la séparation , alors que se diversifient les situations, avec l’adjonction possible à ces liens d’origine d’autres liens de nature parentale (Le Gall, Bettahar, 2001). De telles parentalités additionnelles s’observent par exemple dans les recompositions familiales ( Blöss, 1996 ; Cadolle, 2000 ), sans compter les autres élargissements du cadre de la parentalité rendus possibles par les dons d’ovocytes en cas d’Assistance médicale à la procréation, ou par l’adoption, si ce n’est le placement familial.
Dans un tel contexte qui se complexifie toujours plus, la résidence alternée vient répondre aux nouvelles exigences de gestion d’une séparation qui ne se satisfait plus de la « secondarisation » de l’une des deux positions parentales de référence et affirme le principe d’une coparentalité effective et inaliénable. Mais elle se heurte alors à plusieurs obstacles différents, qui manifestent le maintien des logiques antérieures :
– la norme intériorisée de la résidence unique après séparation,
– celle de la prévalence maternelle dans le rapport à l’enfant,
– et la tendance à la pathologisation des effets du divorce sur les enfants, inférant, à partir d’exemple cliniques des troubles liés à la séparation, une nécessité de «stabilité» du cadre de vie qui serait incompatible avec l’alternance.
Sont en jeu ici un certain nombre de montages sociaux qui fournissaient autrefois le cadre de référence anthropologique des rapports familiaux, organisant autour du mariage l’illégitimité de la séparation, la spécialisation maternelle dans le rapport aux enfants et la dénonciation de toute remise en cause d’un tel modèle matrimonial et éducatif. Le droit et les disciplines psychologiques s’y constituaient en garants de la normalité parentale et familiale, en portant le discrédit sur toute forme de déviance à l’égard d’une norme aujourd’hui contestée. La résidence alternée se trouve en quelque sorte prise dans les contradictions de ce changement de modèle relationnel qui s’est effectué à partir de la fin des années 60, et qui est encore loin d’avoir développé toutes ses implications au niveau des règles de fonctionnement des institutions, des mœurs et des représentations sociales, des discours théoriques et des formalisations juridiques. Si elle vient symboliser le passage à un autre mode de régulation des dysfonctionnements familiaux liés au nouvel ordre social que porte le développement des valeurs d’égalité, d’autonomie et d’expressivité personnelle (la « démocratisation » des relations privées [Commaille, Martin, 1998]), elle focalise sur elle les résistances à un tel passage et les critiques à l’égard des contradictions relationnelles que l’utopie démocratique appliquée aux relations privées engendre.
J’aborderai tour à tour les trois champs où cette opposition entre des logiques antinomiques se révèle fondamentale : celui servant d’organisateur du cadre de référence social, le droit ; celui de la nouvelle légitimité sociale en matière de parentalité : les sciences humaines ; et celui organisant la façon dont l’ordre social est problématisé par la science et le droit : le politique dans ses rapports à la différence des sexes.
2/ Rapport au droit et différences d’approche
a. Le basculement des référentiels juridiques
La régulation des rapports sociaux par le droit, en tant que principe légitimant le fonctionnement social et les règles qui l’encadrent, s’est profondément transformée au cours du XXème siècle, avec le passage progressif – et non exempte de contradictions – pour l’ensemble des principes constituant le référentiel juridique en matière familiale de la transcendance à l’immanence (Commaille, 1994). En d’autres termes, le législateur a tendance à se référer de moins en moins à des valeurs d’ordre philosophique ou moral pour expliciter le sens des lois et de plus en plus aux normes pratiques dégagées par ce que l’on appelle les mœurs. En cela, les sciences humaines, censées dégager le sens des comportements humains, ont été constituées en nouveau principe de légitimité du droit, et plus globalement du fonctionnement de la société. Parmi elles, occupent une position phare la psychologie, supposée détenir la clé de la compréhension de l’individu, et la démographie, explicitant au niveau statistique l’importance des nouvelles tendances de vie dans les groupes humains. D’un côté la normalité axiologique, de l’autre la normalité statistique. Ces deux facettes de la définition de la normalité , celle qui renvoie à l’idéal du bon fonctionnement psychique et celle qui renvoie à la moyenne des comportements dans une population, prennent ainsi le pas sur la définition véritablement normative, qui pose comme référence des valeurs externes spécifiques, laquelle se voit partiellement délégitimée.
Le débat juridique concernant la résidence alternée ou, comme on le dirait dans d’autres pays, la garde partagée (Guilmaine, 1991 ; Côté, 2000), s’est trouvé pris dans ce mouvement de mutation des références du droit. Il s’inscrit dans le passage de la référence à un modèle posant comme norme externe la valeur fondatrice du mariage et la faute du conjoint y contrevenant, à un modèle privilégiant la liberté de choix des adultes et faisant référence à un intérêt de l’enfant éclairé par la clinique psychique pour produire la nouvelle norme juridique. Le tout dans un mouvement d’évolution des mœurs où la montée des séparations rendait statistiquement pertinentes, et non plus marginales, les nouvelles situations familiales.
Evoquons alors les grandes lignes de l’évolution juridique sur la question en France. Évolution qui, pour être spécifique, n’en rappelle pas moins les grandes tendances présentes dans la plupart des pays occidentaux, quelle que soit l’importance des décalages constatés.
b. De la garde conjointe à la résidence alternée
Entre 1975, date de la réintroduction du divorce par consentement mutuel et 1987, moment où s’affirme le principe de coparentalité après la séparation, deux pratiques marginales divergent de la garde unique : la garde conjointe et la garde alternée. Si la notion de partage y est sous-jacente, celui-ci est organisé de façon différente. Pour la première, c’est la responsabilité ou l’autorité parentale qui est partagée ; pour la seconde, c’est le temps quotidien des enfants qui est partagé en alternance en même temps que l’autorité.
De fait, la notion d’alternance met l’accent sur la modalité concrète du partage du temps de l’enfant, et suppose une équivalence approximative des périodes passées chez le père et la mère. En dehors de quelques exemples de reconnaissance juridique de ces modes de garde, la référence demeure la garde unique où autorité et résidence dépendent d’un seul parent, essentiellement la mère. Mais une telle dissymétrie après séparation, qui ne fait jamais que rejouer la dissymétrie parentale traditionnelle, ne peut rester indéfiniment affirmée en ces temps de démocratisation des relations familiales, et les droits des pères séparés vont accéder à une certaine reconnaissance avec les lois de 1987 et 1993 .
Votées dans l’intention de réhabiliter la position paternelle auprès de l’enfant, la loi de 1987, qui ne concerne que les parents divorcés, et celle de 1993, qui généralise les nouvelles dispositions aux ex-concubins, font éclater la notion de garde en dissociant en son sein la dimension de l’autorité parentale de celle de la résidence de l’enfant. Le partage de l’autorité parentale après la séparation devient alors la norme, et la désignation d’une résidence habituelle de l’enfant chez l’un des parents, complétée par l’attribution d’un droit de visite et d’hébergement pour l’autre, est retenue comme principe général. La garde alternée, jusqu’alors très minoritairement attribuée, n’existe plus, et la résidence alternée se voit délégitimée et renvoyée à la pénombre des pratiques mises en place en marge du cadre juridique.
Une telle prise de position du droit français ne manque pas alors de provoquer l’étonnement par les contradictions mêmes qu’elle affiche. En effet, suivant la logique d’affirmation de la coparentalité qui, dès 1970, avait remplacé la notion de puissance paternelle par celle d’autorité parentale conjointe dans la famille conjugale, elle a fini par généraliser ce principe à l’après séparation – remettant en cause l’ancienne logique de disqualification du parent fautif envers le lien du mariage qui fondait la famille –, tout en affirmant l’idée d’une résidence unique nécessaire pour l’enfant – ce qui limite radicalement la mise en œuvre d’une coparentalité effective.
A cette prise de position contradictoire répondent en fait deux logiques de référence divergentes, l’une affirme la nécessité du maintien du lien de l’enfant à ses deux parents, l’autre la prévalence concrète du lien unique, en dernière instance maternel. Le tout dans les deux cas, au nom de l’intérêt de l’enfant, c’est-à-dire de ce qui est présenté comme garant de son équilibre psychique : d’une part, le maintien de sa double référence filiative, qui implique le partage de l’autorité ; d’autre part, la prévalence maternelle dans le soin à l’enfant, sous-jacente à l’idée de résidence unique. D’un côté, une référence plus anthropologique et sociologique ; de l’autre, une référence plus clinique et psychanalytique.
Les virulents débats des années 90, auxquels ma recherche sur la résidence alternée n’a pas manqué de fournir des matériaux (Neyrand, 1994/2004), et l’audience croissante prise par les revendications des associations de pères pour une véritable parité parentale après la séparation, ainsi que les arguments plus discrets fournis par les médiateurs familiaux, ont fini par avoir raison des résistances politiques à l’alternance, dans la mesure même où au sein du champ scientifique l’opposition à une telle pratique s’est considérablement affaiblie. Ainsi, en mars 2002, une des dernières lois votées par le parlement à majorité socialiste, portant sur l’autorité parentale, légitimera la résidence alternée en énonçant : « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. » Les résistances à de telles pratiques vont se focaliser alors sur ce qui apparaît comme le noyau de la différenciation des deux places parentales : la relation au jeune enfant.
3/ Évolution des représentations et déplacement des résistances
Si la résidence alternée apparaît à la fois si difficile à reconnaître pour certains spécialistes, et si difficile à vivre pour certains parents et enfants, c’est bien parce qu’elle vient symboliser les difficultés du passage à un autre ordre symbolique, organisant de manière nouvelle les relations entre les sexes, entre les générations, et à l’intérieur de la famille, sans que les conditions nécessaires à un passage serein à ce nouvel ordre soient réunies. Les mutations sociales n’ont pas concerné de la même façon hommes et femmes, couches moyennes et milieux ouvriers, ruraux et citadins, adeptes ou non d’une religion, d’un mouvement social ou d’une culture spécifiques. Si le mouvement général va dans le sens de ce qu’on a pu appeler une démocratisation de la vie privée, c’est-à-dire la mise en avant des valeurs d’égalité et d’autonomie dans les relations interpersonnelles et familiales, ce n’est pas sans de multiples décalages. Ceux-ci tiennent à la fois aux éthos et habitus propres aux groupes sociaux, aux positions différentielles des sexes dans la société et vis-à-vis de la procréation, aux contraintes du milieu de vie et aux histoires personnelles et familiales, aussi bien qu’à la façon dont les sciences humaines ont mis en scène les modes de vie et de pensée propres aux sociétés où elles ont été produites.
a. Des carences maternelles à l’attachement triadique
Le modèle de la bonne parentalité porté par les sciences humaines a ainsi énormément évolué en l’espace d’une trentaine d’années, dans une dynamique qui a vu à la fois la psychologie perdre son caractère de référence hégémonique en matière de parentalité, au bénéfice d’approches incluant la dimension sociale ou culturelle, et évoluer les représentations savantes des rôles de sexe et de la place de l’enfant.
Si avant les années 70, on ne pouvait concevoir un divorce qui ne voyait pas les enfants confiés à la mère autrement que comme une déchéance maternelle, c’est bien parce que le modèle social de dichotomisation des rôles parentaux s’articulait à sa théorisation par la clinique psychanalytique. Cette dernière justifiait l’assignation maternelle aux soins de l’enfant comme une donnée naturelle, bio-psychologique en quelque sorte. Ce qui ne faisait que formaliser sur un plan théorique la nouvelle disposition épistémologique générale sur les rapports entre démocratie et différence des sexes, qu’avait organisée sur le plan politique la Révolution française, sous l’influence de la philosophie des Lumières, et notamment de Jean-Jacques Rousseau (1762). Si la Révolution mettait en place un formidable instrument d’égalisation des positions sociales, en définissant des citoyens « libres et égaux en droits », quelle que soit leur origine sociale, elle asseyait cette remise en cause des privilèges liés à la naissance (le sang) sur une naturalisation de la différence des sexes, qui définissait comme incommensurables (parce que naturelles) les places des hommes et des femmes. « Le modèle de l’incommensurabilité biologique entre l’homme et la femme et de la sexualisation du corps qui s’impose à partir des années 1760-1770 est aussi une machine de guerre contre les inégalités fondées sur la naissance. Il ancre dans le sexe l’infériorité naturelle de la femme mais il décrète que toutes les autres différences sont injustes et infondées. L’égalité entre les hommes et l’incommensurabilité fondamentale entre les hommes et les femmes apparaissent ainsi comme les deux versants complémentaires et contradictoires de la pensée naturaliste des Lumières. » (Steinberg, 2001, 39)
Le développement des sciences humaines sur le modèle de la médecine (Foucault, 1963) allait logiquement s’effectuer sur cette essentialisation de l’opposition biologique entre les hommes et les femmes, prenant pour supports premiers la sexualité et la procréation. Jusqu’au dernier tiers du XXème siècle, dans le discours «psy» plus encore que dans les pratiques, il était clair que le travail de soin de l’enfant était d’essence maternelle, le père étant renvoyé à son rôle de pourvoyeur aux besoins de la famille . Le déficit en présence maternelle fut alors présenté comme le seul motif des carences affectives, sous la figure notamment de l’hospitalisme décrit par Spitz, et dont la théorisation fut reprise par Bowlby, Aubry, Winnicott, etc... John Bowlby, empruntant au modèle éthologique, formalisa ainsi une théorie de l’attachement centrée sur la relation mère-enfant, considérée seule susceptible de garantir l’équilibre psychique de l’enfant.
Bien que ce modèle reste toujours très prégnant dans les milieux médicaux et psychologiques, les travaux développés à partir des années 70 allaient insister sur la possibilité pour le bébé de bénéficier de plusieurs figures d’attachement (Zazzo, 1974), et contribuer à requalifier la présence du père auprès du jeune enfant (Hurstel, 1985 ; Le Camus, 1999 ; Zaouche-Gaudron, 2001), alors qu’apparaissaient des attitudes paternelles tellement inhabituelles qu’on ne trouva pas d’autres moyens pour les qualifier que d’insister sur leur nouveauté : ce fut l’avènement des « nouveaux pères ». Il faut croire que cette proximité du père au bébé est quelque chose de véritablement dérangeant pour les représentations habituelles de la paternité, car, bien que se généralisant dans les nouvelles générations en même temps que le travail féminin, on continue encore dans les médias à évoquer ces nouveaux pères comme s’ils venaient d’apparaître.
Toujours est-il qu’un modèle triadique (Fivaz, Corboz, 2001) se voit maintenant reconnu comme plus adéquat pour rendre compte des fonctionnements familiaux modernes que la référence à la seule dyade mère-enfant, à laquelle continuent de se limiter beaucoup de pédiatres, de pédopsychiatres, de psychanalystes et de psychologues pour évaluer l’équilibre psychique de l’enfant. Le consensus n’existe plus, et les débats sur le sujet dans le champ des sciences humaines viennent redoubler la diversification des positions familiales depuis les années 70.
La résidence alternée se trouve alors complètement prise dans ce débat. En mettant en scène le rapport de la différence des sexes à des fonctions parentales qui seraient spécifiques, elle est constituée en enjeu des oppositions de conception sur la place et le rôle de chacun des parents (voire d’autres figures de l’entourage de l’enfant), que ces oppositions soient pratiques ou théoriques. On pourrait presque résumer ce débat en une question : la fonction d’autorité est-elle par essence ou historiquement paternelle, la fonction de soin est-elle par essence ou historiquement maternelle ?
La réponse est peut-être moins évidente que certains ont tendance à le penser, car deux dénis sont possibles : celui des implications de la différence biologique des sexes, et celui de la prise de cette différence d’emblée dans la culture . Si la plupart des auteurs reconnaissent aujourd’hui une certaine légitimité à ce que les pères s’occupent concrètement de leurs enfants, et la possibilité qu’une autorité parentale soit incarnée par la mère, beaucoup de cliniciens se fondent sur l’existence d’une période fusionnelle mère-bébé après la naissance pour dénier aux pères la capacité à s’occuper de leurs jeunes enfants en l’absence de cette dernière sans qu’il y ait carence affective. C’est le cas actuellement en France d’un certain nombre de pédopsychiatres s’élevant contre la possibilité d’une résidence alternée du jeune enfant. Les résistances à l’égard de la résidence alternée se sont ainsi déplacées d’une opposition globale très virulente dans les années 70 vers une opposition à sa mise en œuvre pour un jeune enfant.
b. Des pédopsychiatres garants d’une maternalité hégémonique
Si la polémique au sujet de la résidence alternée de bébés ne réfère de fait qu’à de très rares cas, cela n’est plus vrai pour les jeunes enfants, compte-tenu de la tendance à ce que les séparations parentales lorsque les enfants sont en bas âge se multiplient. Du coup, dans les trois quarts des demandes de résidence en alternance, l’enfant unique ou le plus jeune a moins de 10 ans, et surtout, dans un tiers des cas, moins de 4 ans (Moreau et alii, 2004). Le nombre d’enfants concernés est loin d’être négligeable, ce qui ne manque pas d’accroître la possibilité que certains y soient mal à l’aise – comme j’ai pu le constater chez une minorité d’enfants –, voire présentent des troubles psychiques. Bien que leur origine soit complexe, l’existence de ces troubles, auxquels sont d’abord confrontés les pédopsychiatres, a poussé certains d’entre eux à adopter une position résolument hostile à l’alternance.
Maurice Berger, par exemple, préconise au nom du « principe de précaution » d’attendre pour la mise en place d’une alternance « que l’enfant ait la capacité de la comprendre, autour de 4-5 ans » (2002, 102). Bien que son argumentaire fasse un bilan sérieux de la théorie classique (années 1950-70) du sentiment d’attachement et du sentiment de filiation, puis du renouvellement qu’ont représenté les travaux sur les attachements multiples, notamment celui au père (années 1980-2000), le parti pris de sa conclusion, se fondant sur le fait que la mère constitue une « base de sécurité » supérieure à celle du père (Lamb, 1983), m’a incité à discuter cette position dans le numéro suivant de Dialogue (2002) . J’y concluais que : « La demande de résidence alternée pour un bébé ou un jeune enfant, en ce qu'elle témoigne d'une préoccupation parentale partagée, est l'expression non seulement d'un véritable désir de responsabilité parentale, mais aussi de l'existence pour le bébé de liens psychiques bi-parentaux, qu'il serait sans doute très néfaste pour lui de voir amputer de moitié. » Ce qui signifie bien qu’une alternance peut être bénéfique à l’enfant, comme diverses enquêtes ont pu le constater , surtout si l’on entoure sa mise en place d’un minimum de précautions. Insister à l’image de Maurice Berger sur le fait « qu’il peut être nocif pour un bébé de passer une semaine ou plus éloigné de sa mère » ne constitue alors qu’une remarque de bon sens, qui a conduit certains adeptes d’une résidence alternée du jeune enfant à trouver un rythme d’alternance adapté à son âge, par exemple deux ou trois jours. Le sujet est, en effet, important et demande aux parents de suffisamment réfléchir aux conditions concrètes de sa mise en pratique… Mais la position d’un autre pédopsychiatre, le Dr Romain Liberman, président de l’Association nationale des médecins de santé mentale infantile d’exercice privé salarié, se révèle à cet égard encore plus explicite, en énonçant dans une lettre envoyée à un militant d’une association de pères (lettre que celui-ci a jugé utile de me faire suivre) : « Les premiers effets pathologiques d’une rupture avec la mère, même de courte durée chez des nourrissons, ne sont plus à démontrer depuis Spitz tant le lien mère-enfant est puissant, sous-tendu par un primat biologique. » On voit resurgir ici l’idée que toute séparation d’avec la mère, même de courte durée, est néfaste pour l’enfant. Ce qui avait amené Spitz à condamner le travail extérieur des mères jusqu’à l’entrée de l’enfant à l’école primaire. Mais ce qu’il convient de souligner c’est qu’une telle courte séparation est présentée comme une véritable rupture, terme qui explicite les présupposés de l’auteur ; alors que n’est fait aucun cas du lien de l’enfant au père. Dans cette optique, tout passage à la garderie, chez les grands-parents ou chez des proches, peut être considéré comme pathogène pour le jeune enfant, quel que soit le travail de préparation que pourraient effectuer par ailleurs les parents, les professionnels ou les accueillants des lieux de la petite enfance… Ainsi est rappelée sans ménagement une prévalence absolue de la mère, alors que les travaux postérieurs à la théorie de l’hospitalisme et qui l’ont relativisé ne sont pas pris en compte, et tout se résume à la nécessité du maintien d’une relation constante mère-enfant.
Du coup, ma réponse circonstanciée dans Dialogue a entraîné une réaction conjointe de ces deux auteurs en des termes beaucoup moins choisis, frôlant parfois l’injure, dans la revue professionnelle dont ils font partie, La lettre de psychiatrie française (2003). La relever ici sert d’abord une double illustration : la première renvoie au caractère exemplaire de la résidence alternée comme enjeu socio-politique, les auteurs appelant à les soutenir dans leur démarche « auprès des Ministères concernés » pour que « des propositions d’amendement du texte législatif » soient formulées ; la seconde illustration concerne la façon dont les spécialistes du psychisme sont généralement incités à occuper une position conservatrice, au nom de ce que seraient des lois de la psyché et le nécessaire maintien d’un « ordre symbolique » menacé. Le fond de l’argumentation réside dans le fait que « ce n’est pas parce que des adultes décident d’exercer différemment leur rôle parental que les besoins des bébés changent. Ceux-ci sont les mêmes depuis des siècles et demeureront toujours les mêmes. » Par delà son contexte polémique, cette citation exprime une position toujours très présente chez un grand nombre de « psy » : l’idée qu’existe une indéfectible nature humaine, que les disciplines psychologiques seraient progressivement en mesure de nous dévoiler. Exit l’histoire et les évolutions culturelles, tout au fond, dans l’archaïque, les choses sont immuables, nous disent-ils, et les rôles sont déjà distribués, du fait essentiellement de la différence des sexes et la logique implacable de ses implications. Or, si l’on peut penser que les bébés auront toujours besoin de nourriture et d’amour, on peut se demander si la prépondérance maternelle en la matière, théorisée il y a une cinquantaine d’années et plus, doit être véritablement considérée comme exclusive d’autres attachements utiles au bien-être et à l’équilibre du bébé.
c. Spécificités sexuées de la procréation et places parentales
Qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’une résidence en alternance est a priori plus préjudiciable à l’enfant qu’une résidence unique chez la mère ? A ma connaissance rien qui n’ait jamais été démontré sur l’ensemble des situations de parentalité. Certes, personne ne conteste que dans la plupart des cas la prédisposition bio-culturelle des mères fait que celles-ci s’investissent davantage dans la relation au bébé. L’avance prise en quelque sorte par la mère dans la relation parentale tient à sa fonction matricielle, à l’expérience unique que la vie intra-utérine du bébé procure tant à celui-ci qu’à la femme qui le porte. L’importance de cette période archaïque ne peut être niée, même si à la naissance les positions parentales, et plus encore les positions paternelles, peuvent être très diversifiées. « Les conséquences de la rencontre avec la mère, conceptualisée en relation d’objet, viennent alors masquer que la préhistoire du sujet a pour accueil le réel sexué de son corps en tant que femme […] L ‘expérience de sensorialité première à laquelle cet accueil donne lieu fait trace humanisante dans l’indéfectible de la chair, avec l’empreinte du vécu subjectif de la mère auquel le père participe. » (Rossi, 2004) Selon leurs histoires, leurs milieux, leurs cultures, leurs relations à leurs conjointes, les pères vont alors se sentir plus ou moins autorisés à tenir d’emblée une position parentale concrète, et à investir ou non une proximité au bébé dès la naissance. De ce fait, leur position apparaît plus variable, et souvent plus fragile, comme le montre bien Monique Bydlowski (1997) dans son approche de l’imaginaire parental, alors qu’ils ont mis en place eux aussi dès le projet de conception un rapport imaginaire au bébé, longtemps dénié par notre tradition culturelle (Delaisi, 1981 ; This, 1980), rapport articulé à un projet parental plus ou moins exprimé.
Il faut ainsi reconnaître qu’encore beaucoup de pères ne seraient pas capables de prendre la place que tient leur conjointe sur les différents plans du soin et de l’éducation jusqu’à un âge relativement avancé. Mais, sauf exception (parfois liée à une position pathologique), ces pères en cas de séparation ne demandent pas de résidence alternée de leur enfant, encore moins s’il s’agit de leur bébé. Il s’avère cependant que, essentiellement dans les couches moyennes, d’autres pères sont très investis dans le soin à leur bébé dès la naissance et se constituent en figure d’attachement pour celui-ci autant que la mère, et quelquefois même plus. En cas de séparation, la demande de résidence alternée est alors logique, et s’inscrit dans ce que ces parents perçoivent comme la préservation de l’intérêt de l’enfant, même si cela ne concerne qu’un nombre limité de cas. Pourquoi ces situations minoritaires devraient-elles être appréhendées selon un modèle qui ne les concerne pas ? Pour la plupart des cliniciens, la présence de deux figures principales d’attachement pour un bébé demande à être préservée. Le refus de l’alternance, qui prive le bébé de l’une d’entre elles, semble alors participer plus d’une position idéologique et politique que de l’analyse strictement scientifique dans laquelle se drapent ses opposants. L’absence plus ou moins prolongée d’un père impliqué (Le Camus, Zaouche-Gaudron, 1998) n’engendrerait-elle pas aussi des souffrances et des carences préjudiciables à son bien-être ? Cela ne revient pas pour autant à penser les parents comme interchangeables, en déniant la spécificité de leur position sexuée... De fait, de nombreux témoignages de parents, et d’enfants ayant vécu l’alternance de résidence, montrent que, lorsque les liens psychiques sont établis, celle-ci peut être bien vécue à tout âge, quitte à aménager sa réalisation aux caractéristiques de l’enfant. La stabilité des liens est sans doute alors plus importante à préserver qu’une unicité obligatoire du lieu de vie. Il convient cependant d’être prudent et de préparer d’autant mieux les modalités d’une alternance que l’enfant est jeune et évolue, de ce fait, rapidement. Certains vont alors jusqu’à proposer l’alternance de la présence parentale au lieu de résidence de l’enfant lorsque celui-ci est encore bébé.
De façon plus générale, de nombreux cliniciens rappellent que les cas de fixation exclusive à la mère, facilitée par la prédisposition biologique liée à la gestation, ne sont pas forcément une bonne chose pour l’enfant, que ce soit du fait de la tendance de ces mères à la captation de celui-ci, ou au contraire de leur difficulté à investir affectivement l’enfant (Neyrand et alii, 2004). Bien souvent, la présence de l’autre parent est ce qui permet d’équilibrer la relation filiale, voire de la restaurer, et à la séparation il n’est pas sûr que l’exclusivité parentale soit la meilleure solution dans tous les cas. Loin de là me dit mon expérience de chercheur auprès des enfants de parents séparés, alors même que ces cliniciens rappellent les risques d’un attachement maternel trop exclusif. Dans ce contexte, et compte-tenu de la valeur centrale accordée désormais à l’enfant et la focalisation du discours social sur les relations à celui-ci, la pédophilie, par exemple, a été constituée en « problème de société », inaugurant l’ère du soupçon généralisé (Gavarini, Petitot, 1998). La figure du père abusif y a pris une place centrale. Par delà les accusations infondées dont certains pères sont devenus les cibles pour leurs ex-conjointes, dans une stratégie pas toujours très claire de rupture totale du lien paternel, la prépondérance des hommes dans ces situations d’abus est mise en avant. Ce qui exonère les mères de toute potentialité abusive. Or, les choses ne sont pas aussi caricaturales, comme le fait remarquer Caroline Eliacheff : « On ne recense en France que 10% de pédophiles femmes parce qu’on se focalise sur l’acte sexuel, dont la trace peut valoir preuve en justice. Or l’inceste se définit par une autre caractéristique tout aussi importante : la formation d’un couple par exclusion du tiers. Une relation mère-fille (ou mère-fils) dont le père est exclu peut être qualifiée “d’inceste platonique”, selon l’expression de Nathalie Heinich. En littérature, Hervé Bazin appelle “maternite” ce basculement d’une jeune épouse en mère absorbée par sa maternité, délaissant son mari et sa propre identité d’épouse, et troquant la sexualité conjugale contre la sensualité maternelle. En psychanalyse, Winnicott l’appelle “préoccupation maternelle primaire”. A mesure que l’enfant grandit, l’inceste platonique prend la forme d’une emprise grandissante allant jusqu’à ce que la psychanalyste Alice Miller appelle “l’abus narcissique” : les dons de l’enfant sont exploités pour combler les aspirations insatisfaites ou refoulées d’une mère idéalement dévouée. Comme les filles deviennent rapidement parties prenantes de cette relation d’emprise, ce versant négatif de l’amour maternel est difficile à débusquer : comment et à qui se plaindre d’un excès d’amour ? » (Eliacheff, 2004) En termes de situations pathogènes, les risques sont donc loin de se focaliser sur les seules situations d’alternance, les autres situations de vie le sont tout autant, y compris d’ailleurs les situations bi-parentales classiques, ce qui depuis Freud n’est plus un secret pour personne…
Ce rappel effectué, il ne saurait être non plus question de dénier que dans certaines situations la violence masculine est bien réelle, comme nous avons pu le constater dans notre étude sur les femmes en situations monoparentale précaire (Neyrand, Rossi, 2004). Cette réalité a paradoxalement engendré une hostilité à la résidence alternée, portée par tout un courant du féminisme.
d. Les réticences ambiguës d’un féminisme dit radical
Un certain nombre d’entrées en situation monoparentale s’effectuent ainsi sous le signe de la violence conjugale ou parentale. Le courant féministe qui a dénoncé la résidence alternée comme moyen de continuer à perpétuer l’oppression paternelle est venu prendre à rebrousse-poil la plupart des convictions féministes sur la question, en développant une critique très virulente de cette pratique, dans la période qui a précédé le vote de la loi et après sa mise en place. Ce féminisme se définit comme « radical ». Inspiré par un courant des mouvements féministes d’outre-Atlantique, il s’est appuyé essentiellement sur deux objections pour développer son argumentation contre la résidence alternée : la violence de certains hommes à l’égard de leurs ex-conjointes, que l’alternance leur donnait l’occasion de reproduire, et la possibilité que des pères incestueux utilisent une telle solution pour continuer leurs agissements coupables (Nouvelles questions féministes, 2002).
Vu la gravité des actes évoqués, on ne peut prendre à la légère de telles objections, mais il convient de rappeler, là encore, que l’on se trompe de cible. Non seulement la question est complexe et peut facilement être détournée, on l’a vu, mais elle n’a que peu de rapport avec la résidence alternée : ces pratiques sont bien antérieures à la séparation et, dans les situations de précarité, où la violence est souvent très présente, les pères qui se séparent demandent très rarement une résidence alternée de leurs enfants. Ce sont d’autres types de difficultés relationnelles avec leurs ex-conjoints que les femmes précarisées se retrouvent devoir gérer. De plus, la violence conjugale et l’inceste ou la pédophilie sont des pratiques condamnables et condamnées, et lorsque de tels actes sont avérés leurs auteurs en sont punis.
Ainsi, le fait que, dans de rares cas, l’alternance des résidences ait pu être l’occasion de commettre de tels délits est regrettable, mais ne peut remettre en cause son fondement, qui demeure la reconnaissance de l’égalité des sexes et du double lien de l’enfant à ses parents. Sentiment partagé par nombre de féministes, comme par exemple Michèle Ferrand (2004), qui déclare à propos de la loi de 2002 : « Cette loi me paraissait au contraire assez égalitaire, offrant des possibilités pour l’invention de nouveaux rapports hommes/femmes dans le traitement de la parentalité […] Il me semblait évident qu’il fallait refuser la garde alternée à un homme responsable de violences sur sa femme ou sur ses enfants, ou à un père incestueux. Je ne vois pas comment une loi pourrait permettre cela. En revanche, j’étais très gênée, chez certaines féministes, par cette remontée de l’essentialisme féminin qui faisait de la mère l’archétype du parent – ce qui est complètement contraire à ce qu’est pour moi le féminisme. Le féminisme visait à sortir du destin biologique de l’assignation à la maternité forcée et à promouvoir le partage parental… »
La plupart des femmes interrogées à ce sujet ne s’y trompent pas, et, contrairement à ce qu’on pourrait donner à penser, il existe sans doute au moins autant de femmes qui regrettent que leur ex-conjoint ne puisse envisager une alternance que d’hommes qui souhaiteraient la même chose de la part de leur ex-conjointe.
4/ La différence des sexes comme enjeu politique
Si l’on peut tirer de ces multiples débats un enseignement, c’est que, dans une société en pleine mutation, où les femmes ont investi l’espace professionnel et où le politique est sommé d’assumer une parité qu’il a si longtemps récusée, l’espace privé est devenu le lieu où se recentre la différence des sexes et les affirmations identitaires de la virilité et la féminité, essentiellement autour de la sexualité, la reproduction et le rapport différencié à l’enfant. Cela permet d’illustrer que la façon dont la différence des sexes est problématisée à travers la parentalité constitue bien un enjeu d’ordre politique, et que la relation à l’enfant n’est pas seulement une relation d’ordre privée.
L’hostilité de principe de certains pédopsychiatres à cette solution de gestion de l’après-séparation ne semble donc pas découler seulement du constat du mal-être de certains bébés dans certaines de ces situations, mais aussi, et plus globalement, de présupposés sur ce que peut être la bonne famille, et la bonne répartition des rôles parentaux, à l’exclusion des autres modalités possibles d’élaboration ou de réorganisation du lien familial. Une position, en définitive, politique, au sens où il s’agit bien de vouloir réglementer de manière normative ce qu’il doit en être de l’ordre familial, au prétexte de la défense de ceux qui ne peuvent s’y exprimer plus explicitement : les bébés. De telles prises de position, relayées par les médias et diffusées en direction du monde politique, si elles présentent l’avantage de rappeler qu’il ne faut pas procéder n’importe comment en matière de résidence alternée, montrent que les enjeux du débat sur la résidence alternée ne sont pas minces, et viennent rappeler que, à travers les conceptions de la place de chacun des parents à l’égard de l’enfant, ce sont plus globalement des conceptions de l’ordre du monde et de la société qui sont aussi en jeu. L’évolution sociale a permis l’émergence de nouveaux positionnements privés et de nouveaux comportements parentaux, dont la diffusion leur a donné une visibilité nouvelle. La beau-parentalité questionne aujourd’hui la société sur la position que celle-ci doit adopter à son égard : le droit, pour l’instant n’en dit rien. Mais d’autres pratiques viennent interroger encore plus fondamentalement l’ordre socio-juridique : tout ce qu’a pu autoriser l’Assistance médicale à la procréation avec donneurs de gamètes, mais aussi la reconnaissance de l’existence de situations de plus en plus fréquentes d’homoparentalité. Si c’est bien l’évolution sociale, avec la dissociation désormais acquise entre sexualité, conjugalité et parentalité, qui a permis que soit désormais reconnue la conjugalité homosexuelle, elle a aussi permis qu’émerge, dans le cadre même des couples homoparentaux, et lorsque les configurations le permettent, une préoccupation pour une résidence en alternance entre père et mère biologiques (Gross, 2000). Le désir chez certains couples gays et couples lesbiens que la relation parentale à l’autre sexe soit aussi vécue au quotidien indique l’importance des préoccupations liées à la différence des sexes, aux lignées filiatives, et aux identifications sexuées dans l’esprit de beaucoup de parents, y compris les plus atypiques (Beaumatin et alii, 2003), tant les acteurs sociaux ou les sujets psychiques se sentent interpellés par les mutations en cours. Mutations qui placent l’individu face à la responsabilité d’assumer les conditions de sa propre vie (de Singly, 2000), avec toutes les difficultés que cela peut représenter (Ehrenberg, 1998 ; Castel, 2003).
Comme le dit très bien Irène Théry (2001) : « la société démocratique naissante a déplacé le centre de gravité de la confrontation des sexes. Même si le monde public est masculin, c’est désormais dans la vie privée, la sexualité et la reproduction, que se joue l’essentiel de la distinction de la virilité et de la féminité. C’est pourquoi l’assignation des femmes à la sphère domestique est si ambiguë », et c’est aussi pourquoi, ajouterais-je, le statut de l’enfant a tellement changé en même temps que se redéfinissait la place de chaque sexe l’un par rapport à l’autre. Plus que la sexualité, que le rapport à l’espace public ou à l’espace domestique, c’est le rapport à l’enfant qui est chargé de continuer à différencier les positions sociales de l’homme et de la femme.
Ce qui ne manque pas de rendre suspecte une pratique comme la résidence alternée, en ce qu’elle organiserait une indifférenciation des sexes et des fonctions parentales, un déni de la spécificité matricielle de la maternité (Rossi, 2002), et une interchangeabilité du père et de la mère, qui ne pourrait introduire que de la confusion dans l’esprit de l’enfant en mettant en cause la stabilité de ses repères. Repères sexués beaucoup plus que spatio-temporels. Si l’analyse des pratiques montre bien que ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans l’alternance des résidences de l’enfant, il n’empêche que ce fantasme de l’indistinction sexuelle joue ici à plein pour alimenter les craintes à l’égard d’une pratique qui n’en demandait pas tant, et que ses détracteurs qui en ressentent une ambiguïté la ressentent comme interrogeant les identités sexuelles. Il s’agit alors de rappeler, pour désamorcer ce fantasme si enraciné dans l’archaïque, que le père qui s’occupe de l’enfant n’en devient pas pour autant une mère, et ne la remplace pas, que s’occupant du bébé il ne materne pas mais paterne, en d’autres termes s’occupe de l’enfant dans un style « masculin » (Le Camus, Zaouche-Gaudron, 1998), et qu’entretenir les deux liens parentaux ne signifie pas les rendre indistincts.
Le système social est mis ainsi devant le défi d’avoir à soutenir les compétences des parents pour qu’ils arrivent à déterminer eux-mêmes la moins mauvaise des solutions d’après séparation. C’est le sens qu’a pu avoir la mise en place des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, ou la promotion de la médiation familiale (Babu et alii, 1997 ; Sassier, 2001), dans un contexte qui tend de plus en plus à reconnaître que l’enfant qui continue à bénéficier, malgré la séparation conjugale, de la présence successive de ses deux parents deviendra d’autant plus facilement apte à maîtriser un double attachement différencié, autant qu’à se construire au regard de l’affirmation d’une double identité parentale sexuée.
Cette mise en perspective des questions soulevées par la pratique de la résidence alternée montre à quel point celle-ci, en interrogeant les instances productrices des normes de régulation sociale de la vie privée, le droit et les sciences humaines, sur la reconfiguration des fondements anthropologiques des sociétés occidentales, constitue un révélateur des contradictions et des angoisses portées par le processus de démocratisation familiale. En ce sens, les enjeux sous-jacents au débat qu’elle a suscité dépassent largement le cadre de sa simple pratique, mobilisant le droit et les rapports normatifs autour de cette recomposition des rapports sociaux sexués au sein de la sphère parentale, et plus globalement au sein de l’espace social.
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Le principe juridique adopté depuis 1975 pour traiter de cette question n’est plus la référence aux torts de chaque conjoint dans la séparation, mais bien la volonté de préservation de l’intérêt de l’enfant. S’y est progressivement adjoint un deuxième principe, qui vise à rappeler la participation des deux parents à la filiation : la biparentalité. Il trouve son expression dans l’idée de coparentalité maintenue après la séparation, et de préservation des liens de l’enfant à ses deux parents.
Dans ce contexte, la résidence de l’enfant en alternance aux deux domiciles de ses parents séparés semble représenter une sorte d’idéal de bonne gestion parentale des conséquences de la séparation. Celle-ci permettrait tout à la fois à l’enfant de préserver son intérêt, en assurant le maintien effectif des liens, et aux ex-conjoints de se projeter dans un avenir dégagé de l’excessif impact du désaccord conjugal, en leur accordant à tour de rôle un temps pour soi. Elle répondrait ainsi à un souci de prendre en compte aussi bien le bien-être de l’enfant que celui des parents.
De fait, de nombreux enfants se déclarent satisfaits de cette solution, qui pour eux apparaît la moins mauvaise et dont ils ne voudraient surtout pas changer. En parallèle, un indice signale la disponibilité psychologique des parents qui pratiquent ce type de résidence avec leurs enfants : le taux de remise en couple des parents qui partagent cette résidence est équivalent à celui des parents « non gardiens », loin devant ceux qui s’occupent seuls de la quotidienneté de l’enfant (Neyrand, 1994/2004).
Ainsi, deux dimensions apparemment divergentes de la vie relationnelle sont conjointement préservées des conséquences que la crise conjugale semblait devoir produire aussi bien sur les liens parentaux que sur les perspectives relationnelles des ex-conjoints. Avec la résidence alternée, sont réaffirmés, d’un côté le modèle social de la coparentalité comme garante du bien-être de l’enfant dans une inscription généalogique et relationnelle préservée ; de l’autre, le modèle de la vie en couple comme moyen privilégié de la réalisation de soi dans le rapport amoureux. Sans doute est-ce l’une des raisons majeures pour lesquelles le législateur a fini par la reconnaître comme principe légitime de prise en charge de l’enfant par ses parents séparés, en reconnaissant sa possibilité au même titre que la résidence habituelle chez l’un d’entre eux, avec la loi du 4 mars 2002.
Pourtant cette solution a toujours de nombreux détracteurs, au nom même de ce qui est invoqué par ses partisans pour la défendre, et qui fait trop unanimement consensus pour ne pas être suspecté de masquer une réalité bien plus complexe : l’intérêt de l’enfant. Celui-ci se trouve pour le moins sujet à des interprétations divergentes, et, quelle que soit la solution retenue, on constate que la réalité des relations post-séparation est loin de se conformer à l’idéal relationnel promu par les uns ou les autres, y compris chez ceux qui vont s’essayer à mettre en pratiques une alternance lorsque le droit leur reconnaît une légitimité à le faire. C’est depuis peu le cas en France, et depuis plus longtemps dans certains états nord-américains .
La question du lieu de vie de l’enfant après la séparation conjugale est ainsi devenue une question centrale pour notre ordre social, en ce qu’elle est symptomatique des difficultés que rencontre notre société à assumer le passage d’une certaine organisation des rapports entre les sexes et entre les générations à une autre, à travers les perturbations que la mutation en cours génère. Si cette mutation s’effectue de façon si douloureuse et si controversée, c’est bien qu’elle vient remettre en cause quelque chose de notre organisation anthropologique ancestrale, et de ses implications sociales, relationnelles, psychiques.
Il s’avère alors nécessaire de dégager les enjeux que cette polémique sur le caractère bien ou mal fondé de l’alternance parentale recouvre. Plus fondamentalement encore, il convient de s’interroger sur les soubassements des positions évoquées, c’est-à-dire sur les conceptions des relations hommes-femmes et de la parentalité que la question de la résidence alternée en vient à opposer .
1/ Problématisation socio-historique d’une question controversée
En France, depuis la récente reconnaissance légale de la résidence alternée comme constituant l’une des deux grandes possibilités de résidence de l’enfant après la séparation conjugale, de plus en plus de parents, trouvant dans les médias une formidable chambre d’écho à leurs préoccupations, se demandent s’il ne serait pas plus profitable à tout le monde de partager la résidence de l’enfant.
Si un mouvement en ce sens semble se dessiner, comme on pouvait logiquement le prévoir , il n’empêche que la chose ne va pas sans difficulté, car elle s’inscrit dans une dynamique sociale profondément contradictoire. S’oppose la pesanteur des logiques antérieures de fonctionnement social à la force d’innovation des nouvelles logiques relationnelles mises en place depuis les années 60. Celles-ci ont promu, dans un contexte de dissociation de la sexualité et de la procréation, aussi bien la prévalence des sentiments sur les autres dimensions de la conjugalité que l’affirmation de l’enfant, tant pour lui même (Renaut, 2002) que comme moyen de réalisation personnelle (Gavarini, 2001). En même temps était affirmée l’égalité entre les sexes sur le plan professionnel, politique, relationnel et familial. Une telle évolution n’est pas allée sans de lourdes conséquences, qui ont rappelé à quel point ce mouvement est porteur de contradictions normatives. Ces contradictions prennent effet aussi bien au niveau social qu’interpersonnel, et rendent compte tout autant de la montée des séparations conjugales que de la diversification des structures relationnelles de vie.
Au centre de ces mutations se trouve la remise en cause du mariage. Il n’est plus ce sacrement indissoluble qui fondait la famille en définissant pour un couple le cadre de la sexualité, de la procréation et la parentalité, et qui liait de façon définitive ces différentes dimensions. Le statut de l’union a tellement changé sous l’effet des nouvelles attitudes revendicatrices d’égalité et d’autonomie qu’aujourd’hui la majorité des premières naissances s’effectuent en union libre dans la plupart des pays occidentaux, et que l’union est devenue révocable si elle ne satisfait plus l’un des partenaires, et ce malgré la présence de jeunes enfants.
Le caractère inconditionnel et indissoluble du lien s’est déplacé sur la relation à l’enfant (Théry, 1996), aussi bien pour le discours social et son expression médiatique, où l’enfant est reconnu comme un sujet dont la présence est nécessaire à la réalisation de la nouvelle norme sociale d’accomplissement de soi, que pour la logique juridique, où le caractère inaltérable d’un lien parental partagé par les deux parents est réaffirmé comme une norme légitime structurant le champ symbolique.
On sait que dans la réalité les choses sont un peu plus complexes que la simple affirmation d’une coparentalité idéale, qui a souvent bien du mal à être mise en œuvre. Ainsi de l’affaiblissement d’un certain nombre de liens parentaux – surtout paternels – après la séparation , alors que se diversifient les situations, avec l’adjonction possible à ces liens d’origine d’autres liens de nature parentale (Le Gall, Bettahar, 2001). De telles parentalités additionnelles s’observent par exemple dans les recompositions familiales ( Blöss, 1996 ; Cadolle, 2000 ), sans compter les autres élargissements du cadre de la parentalité rendus possibles par les dons d’ovocytes en cas d’Assistance médicale à la procréation, ou par l’adoption, si ce n’est le placement familial.
Dans un tel contexte qui se complexifie toujours plus, la résidence alternée vient répondre aux nouvelles exigences de gestion d’une séparation qui ne se satisfait plus de la « secondarisation » de l’une des deux positions parentales de référence et affirme le principe d’une coparentalité effective et inaliénable. Mais elle se heurte alors à plusieurs obstacles différents, qui manifestent le maintien des logiques antérieures :
– la norme intériorisée de la résidence unique après séparation,
– celle de la prévalence maternelle dans le rapport à l’enfant,
– et la tendance à la pathologisation des effets du divorce sur les enfants, inférant, à partir d’exemple cliniques des troubles liés à la séparation, une nécessité de «stabilité» du cadre de vie qui serait incompatible avec l’alternance.
Sont en jeu ici un certain nombre de montages sociaux qui fournissaient autrefois le cadre de référence anthropologique des rapports familiaux, organisant autour du mariage l’illégitimité de la séparation, la spécialisation maternelle dans le rapport aux enfants et la dénonciation de toute remise en cause d’un tel modèle matrimonial et éducatif. Le droit et les disciplines psychologiques s’y constituaient en garants de la normalité parentale et familiale, en portant le discrédit sur toute forme de déviance à l’égard d’une norme aujourd’hui contestée. La résidence alternée se trouve en quelque sorte prise dans les contradictions de ce changement de modèle relationnel qui s’est effectué à partir de la fin des années 60, et qui est encore loin d’avoir développé toutes ses implications au niveau des règles de fonctionnement des institutions, des mœurs et des représentations sociales, des discours théoriques et des formalisations juridiques. Si elle vient symboliser le passage à un autre mode de régulation des dysfonctionnements familiaux liés au nouvel ordre social que porte le développement des valeurs d’égalité, d’autonomie et d’expressivité personnelle (la « démocratisation » des relations privées [Commaille, Martin, 1998]), elle focalise sur elle les résistances à un tel passage et les critiques à l’égard des contradictions relationnelles que l’utopie démocratique appliquée aux relations privées engendre.
J’aborderai tour à tour les trois champs où cette opposition entre des logiques antinomiques se révèle fondamentale : celui servant d’organisateur du cadre de référence social, le droit ; celui de la nouvelle légitimité sociale en matière de parentalité : les sciences humaines ; et celui organisant la façon dont l’ordre social est problématisé par la science et le droit : le politique dans ses rapports à la différence des sexes.
2/ Rapport au droit et différences d’approche
a. Le basculement des référentiels juridiques
La régulation des rapports sociaux par le droit, en tant que principe légitimant le fonctionnement social et les règles qui l’encadrent, s’est profondément transformée au cours du XXème siècle, avec le passage progressif – et non exempte de contradictions – pour l’ensemble des principes constituant le référentiel juridique en matière familiale de la transcendance à l’immanence (Commaille, 1994). En d’autres termes, le législateur a tendance à se référer de moins en moins à des valeurs d’ordre philosophique ou moral pour expliciter le sens des lois et de plus en plus aux normes pratiques dégagées par ce que l’on appelle les mœurs. En cela, les sciences humaines, censées dégager le sens des comportements humains, ont été constituées en nouveau principe de légitimité du droit, et plus globalement du fonctionnement de la société. Parmi elles, occupent une position phare la psychologie, supposée détenir la clé de la compréhension de l’individu, et la démographie, explicitant au niveau statistique l’importance des nouvelles tendances de vie dans les groupes humains. D’un côté la normalité axiologique, de l’autre la normalité statistique. Ces deux facettes de la définition de la normalité , celle qui renvoie à l’idéal du bon fonctionnement psychique et celle qui renvoie à la moyenne des comportements dans une population, prennent ainsi le pas sur la définition véritablement normative, qui pose comme référence des valeurs externes spécifiques, laquelle se voit partiellement délégitimée.
Le débat juridique concernant la résidence alternée ou, comme on le dirait dans d’autres pays, la garde partagée (Guilmaine, 1991 ; Côté, 2000), s’est trouvé pris dans ce mouvement de mutation des références du droit. Il s’inscrit dans le passage de la référence à un modèle posant comme norme externe la valeur fondatrice du mariage et la faute du conjoint y contrevenant, à un modèle privilégiant la liberté de choix des adultes et faisant référence à un intérêt de l’enfant éclairé par la clinique psychique pour produire la nouvelle norme juridique. Le tout dans un mouvement d’évolution des mœurs où la montée des séparations rendait statistiquement pertinentes, et non plus marginales, les nouvelles situations familiales.
Evoquons alors les grandes lignes de l’évolution juridique sur la question en France. Évolution qui, pour être spécifique, n’en rappelle pas moins les grandes tendances présentes dans la plupart des pays occidentaux, quelle que soit l’importance des décalages constatés.
b. De la garde conjointe à la résidence alternée
Entre 1975, date de la réintroduction du divorce par consentement mutuel et 1987, moment où s’affirme le principe de coparentalité après la séparation, deux pratiques marginales divergent de la garde unique : la garde conjointe et la garde alternée. Si la notion de partage y est sous-jacente, celui-ci est organisé de façon différente. Pour la première, c’est la responsabilité ou l’autorité parentale qui est partagée ; pour la seconde, c’est le temps quotidien des enfants qui est partagé en alternance en même temps que l’autorité.
De fait, la notion d’alternance met l’accent sur la modalité concrète du partage du temps de l’enfant, et suppose une équivalence approximative des périodes passées chez le père et la mère. En dehors de quelques exemples de reconnaissance juridique de ces modes de garde, la référence demeure la garde unique où autorité et résidence dépendent d’un seul parent, essentiellement la mère. Mais une telle dissymétrie après séparation, qui ne fait jamais que rejouer la dissymétrie parentale traditionnelle, ne peut rester indéfiniment affirmée en ces temps de démocratisation des relations familiales, et les droits des pères séparés vont accéder à une certaine reconnaissance avec les lois de 1987 et 1993 .
Votées dans l’intention de réhabiliter la position paternelle auprès de l’enfant, la loi de 1987, qui ne concerne que les parents divorcés, et celle de 1993, qui généralise les nouvelles dispositions aux ex-concubins, font éclater la notion de garde en dissociant en son sein la dimension de l’autorité parentale de celle de la résidence de l’enfant. Le partage de l’autorité parentale après la séparation devient alors la norme, et la désignation d’une résidence habituelle de l’enfant chez l’un des parents, complétée par l’attribution d’un droit de visite et d’hébergement pour l’autre, est retenue comme principe général. La garde alternée, jusqu’alors très minoritairement attribuée, n’existe plus, et la résidence alternée se voit délégitimée et renvoyée à la pénombre des pratiques mises en place en marge du cadre juridique.
Une telle prise de position du droit français ne manque pas alors de provoquer l’étonnement par les contradictions mêmes qu’elle affiche. En effet, suivant la logique d’affirmation de la coparentalité qui, dès 1970, avait remplacé la notion de puissance paternelle par celle d’autorité parentale conjointe dans la famille conjugale, elle a fini par généraliser ce principe à l’après séparation – remettant en cause l’ancienne logique de disqualification du parent fautif envers le lien du mariage qui fondait la famille –, tout en affirmant l’idée d’une résidence unique nécessaire pour l’enfant – ce qui limite radicalement la mise en œuvre d’une coparentalité effective.
A cette prise de position contradictoire répondent en fait deux logiques de référence divergentes, l’une affirme la nécessité du maintien du lien de l’enfant à ses deux parents, l’autre la prévalence concrète du lien unique, en dernière instance maternel. Le tout dans les deux cas, au nom de l’intérêt de l’enfant, c’est-à-dire de ce qui est présenté comme garant de son équilibre psychique : d’une part, le maintien de sa double référence filiative, qui implique le partage de l’autorité ; d’autre part, la prévalence maternelle dans le soin à l’enfant, sous-jacente à l’idée de résidence unique. D’un côté, une référence plus anthropologique et sociologique ; de l’autre, une référence plus clinique et psychanalytique.
Les virulents débats des années 90, auxquels ma recherche sur la résidence alternée n’a pas manqué de fournir des matériaux (Neyrand, 1994/2004), et l’audience croissante prise par les revendications des associations de pères pour une véritable parité parentale après la séparation, ainsi que les arguments plus discrets fournis par les médiateurs familiaux, ont fini par avoir raison des résistances politiques à l’alternance, dans la mesure même où au sein du champ scientifique l’opposition à une telle pratique s’est considérablement affaiblie. Ainsi, en mars 2002, une des dernières lois votées par le parlement à majorité socialiste, portant sur l’autorité parentale, légitimera la résidence alternée en énonçant : « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux. » Les résistances à de telles pratiques vont se focaliser alors sur ce qui apparaît comme le noyau de la différenciation des deux places parentales : la relation au jeune enfant.
3/ Évolution des représentations et déplacement des résistances
Si la résidence alternée apparaît à la fois si difficile à reconnaître pour certains spécialistes, et si difficile à vivre pour certains parents et enfants, c’est bien parce qu’elle vient symboliser les difficultés du passage à un autre ordre symbolique, organisant de manière nouvelle les relations entre les sexes, entre les générations, et à l’intérieur de la famille, sans que les conditions nécessaires à un passage serein à ce nouvel ordre soient réunies. Les mutations sociales n’ont pas concerné de la même façon hommes et femmes, couches moyennes et milieux ouvriers, ruraux et citadins, adeptes ou non d’une religion, d’un mouvement social ou d’une culture spécifiques. Si le mouvement général va dans le sens de ce qu’on a pu appeler une démocratisation de la vie privée, c’est-à-dire la mise en avant des valeurs d’égalité et d’autonomie dans les relations interpersonnelles et familiales, ce n’est pas sans de multiples décalages. Ceux-ci tiennent à la fois aux éthos et habitus propres aux groupes sociaux, aux positions différentielles des sexes dans la société et vis-à-vis de la procréation, aux contraintes du milieu de vie et aux histoires personnelles et familiales, aussi bien qu’à la façon dont les sciences humaines ont mis en scène les modes de vie et de pensée propres aux sociétés où elles ont été produites.
a. Des carences maternelles à l’attachement triadique
Le modèle de la bonne parentalité porté par les sciences humaines a ainsi énormément évolué en l’espace d’une trentaine d’années, dans une dynamique qui a vu à la fois la psychologie perdre son caractère de référence hégémonique en matière de parentalité, au bénéfice d’approches incluant la dimension sociale ou culturelle, et évoluer les représentations savantes des rôles de sexe et de la place de l’enfant.
Si avant les années 70, on ne pouvait concevoir un divorce qui ne voyait pas les enfants confiés à la mère autrement que comme une déchéance maternelle, c’est bien parce que le modèle social de dichotomisation des rôles parentaux s’articulait à sa théorisation par la clinique psychanalytique. Cette dernière justifiait l’assignation maternelle aux soins de l’enfant comme une donnée naturelle, bio-psychologique en quelque sorte. Ce qui ne faisait que formaliser sur un plan théorique la nouvelle disposition épistémologique générale sur les rapports entre démocratie et différence des sexes, qu’avait organisée sur le plan politique la Révolution française, sous l’influence de la philosophie des Lumières, et notamment de Jean-Jacques Rousseau (1762). Si la Révolution mettait en place un formidable instrument d’égalisation des positions sociales, en définissant des citoyens « libres et égaux en droits », quelle que soit leur origine sociale, elle asseyait cette remise en cause des privilèges liés à la naissance (le sang) sur une naturalisation de la différence des sexes, qui définissait comme incommensurables (parce que naturelles) les places des hommes et des femmes. « Le modèle de l’incommensurabilité biologique entre l’homme et la femme et de la sexualisation du corps qui s’impose à partir des années 1760-1770 est aussi une machine de guerre contre les inégalités fondées sur la naissance. Il ancre dans le sexe l’infériorité naturelle de la femme mais il décrète que toutes les autres différences sont injustes et infondées. L’égalité entre les hommes et l’incommensurabilité fondamentale entre les hommes et les femmes apparaissent ainsi comme les deux versants complémentaires et contradictoires de la pensée naturaliste des Lumières. » (Steinberg, 2001, 39)
Le développement des sciences humaines sur le modèle de la médecine (Foucault, 1963) allait logiquement s’effectuer sur cette essentialisation de l’opposition biologique entre les hommes et les femmes, prenant pour supports premiers la sexualité et la procréation. Jusqu’au dernier tiers du XXème siècle, dans le discours «psy» plus encore que dans les pratiques, il était clair que le travail de soin de l’enfant était d’essence maternelle, le père étant renvoyé à son rôle de pourvoyeur aux besoins de la famille . Le déficit en présence maternelle fut alors présenté comme le seul motif des carences affectives, sous la figure notamment de l’hospitalisme décrit par Spitz, et dont la théorisation fut reprise par Bowlby, Aubry, Winnicott, etc... John Bowlby, empruntant au modèle éthologique, formalisa ainsi une théorie de l’attachement centrée sur la relation mère-enfant, considérée seule susceptible de garantir l’équilibre psychique de l’enfant.
Bien que ce modèle reste toujours très prégnant dans les milieux médicaux et psychologiques, les travaux développés à partir des années 70 allaient insister sur la possibilité pour le bébé de bénéficier de plusieurs figures d’attachement (Zazzo, 1974), et contribuer à requalifier la présence du père auprès du jeune enfant (Hurstel, 1985 ; Le Camus, 1999 ; Zaouche-Gaudron, 2001), alors qu’apparaissaient des attitudes paternelles tellement inhabituelles qu’on ne trouva pas d’autres moyens pour les qualifier que d’insister sur leur nouveauté : ce fut l’avènement des « nouveaux pères ». Il faut croire que cette proximité du père au bébé est quelque chose de véritablement dérangeant pour les représentations habituelles de la paternité, car, bien que se généralisant dans les nouvelles générations en même temps que le travail féminin, on continue encore dans les médias à évoquer ces nouveaux pères comme s’ils venaient d’apparaître.
Toujours est-il qu’un modèle triadique (Fivaz, Corboz, 2001) se voit maintenant reconnu comme plus adéquat pour rendre compte des fonctionnements familiaux modernes que la référence à la seule dyade mère-enfant, à laquelle continuent de se limiter beaucoup de pédiatres, de pédopsychiatres, de psychanalystes et de psychologues pour évaluer l’équilibre psychique de l’enfant. Le consensus n’existe plus, et les débats sur le sujet dans le champ des sciences humaines viennent redoubler la diversification des positions familiales depuis les années 70.
La résidence alternée se trouve alors complètement prise dans ce débat. En mettant en scène le rapport de la différence des sexes à des fonctions parentales qui seraient spécifiques, elle est constituée en enjeu des oppositions de conception sur la place et le rôle de chacun des parents (voire d’autres figures de l’entourage de l’enfant), que ces oppositions soient pratiques ou théoriques. On pourrait presque résumer ce débat en une question : la fonction d’autorité est-elle par essence ou historiquement paternelle, la fonction de soin est-elle par essence ou historiquement maternelle ?
La réponse est peut-être moins évidente que certains ont tendance à le penser, car deux dénis sont possibles : celui des implications de la différence biologique des sexes, et celui de la prise de cette différence d’emblée dans la culture . Si la plupart des auteurs reconnaissent aujourd’hui une certaine légitimité à ce que les pères s’occupent concrètement de leurs enfants, et la possibilité qu’une autorité parentale soit incarnée par la mère, beaucoup de cliniciens se fondent sur l’existence d’une période fusionnelle mère-bébé après la naissance pour dénier aux pères la capacité à s’occuper de leurs jeunes enfants en l’absence de cette dernière sans qu’il y ait carence affective. C’est le cas actuellement en France d’un certain nombre de pédopsychiatres s’élevant contre la possibilité d’une résidence alternée du jeune enfant. Les résistances à l’égard de la résidence alternée se sont ainsi déplacées d’une opposition globale très virulente dans les années 70 vers une opposition à sa mise en œuvre pour un jeune enfant.
b. Des pédopsychiatres garants d’une maternalité hégémonique
Si la polémique au sujet de la résidence alternée de bébés ne réfère de fait qu’à de très rares cas, cela n’est plus vrai pour les jeunes enfants, compte-tenu de la tendance à ce que les séparations parentales lorsque les enfants sont en bas âge se multiplient. Du coup, dans les trois quarts des demandes de résidence en alternance, l’enfant unique ou le plus jeune a moins de 10 ans, et surtout, dans un tiers des cas, moins de 4 ans (Moreau et alii, 2004). Le nombre d’enfants concernés est loin d’être négligeable, ce qui ne manque pas d’accroître la possibilité que certains y soient mal à l’aise – comme j’ai pu le constater chez une minorité d’enfants –, voire présentent des troubles psychiques. Bien que leur origine soit complexe, l’existence de ces troubles, auxquels sont d’abord confrontés les pédopsychiatres, a poussé certains d’entre eux à adopter une position résolument hostile à l’alternance.
Maurice Berger, par exemple, préconise au nom du « principe de précaution » d’attendre pour la mise en place d’une alternance « que l’enfant ait la capacité de la comprendre, autour de 4-5 ans » (2002, 102). Bien que son argumentaire fasse un bilan sérieux de la théorie classique (années 1950-70) du sentiment d’attachement et du sentiment de filiation, puis du renouvellement qu’ont représenté les travaux sur les attachements multiples, notamment celui au père (années 1980-2000), le parti pris de sa conclusion, se fondant sur le fait que la mère constitue une « base de sécurité » supérieure à celle du père (Lamb, 1983), m’a incité à discuter cette position dans le numéro suivant de Dialogue (2002) . J’y concluais que : « La demande de résidence alternée pour un bébé ou un jeune enfant, en ce qu'elle témoigne d'une préoccupation parentale partagée, est l'expression non seulement d'un véritable désir de responsabilité parentale, mais aussi de l'existence pour le bébé de liens psychiques bi-parentaux, qu'il serait sans doute très néfaste pour lui de voir amputer de moitié. » Ce qui signifie bien qu’une alternance peut être bénéfique à l’enfant, comme diverses enquêtes ont pu le constater , surtout si l’on entoure sa mise en place d’un minimum de précautions. Insister à l’image de Maurice Berger sur le fait « qu’il peut être nocif pour un bébé de passer une semaine ou plus éloigné de sa mère » ne constitue alors qu’une remarque de bon sens, qui a conduit certains adeptes d’une résidence alternée du jeune enfant à trouver un rythme d’alternance adapté à son âge, par exemple deux ou trois jours. Le sujet est, en effet, important et demande aux parents de suffisamment réfléchir aux conditions concrètes de sa mise en pratique… Mais la position d’un autre pédopsychiatre, le Dr Romain Liberman, président de l’Association nationale des médecins de santé mentale infantile d’exercice privé salarié, se révèle à cet égard encore plus explicite, en énonçant dans une lettre envoyée à un militant d’une association de pères (lettre que celui-ci a jugé utile de me faire suivre) : « Les premiers effets pathologiques d’une rupture avec la mère, même de courte durée chez des nourrissons, ne sont plus à démontrer depuis Spitz tant le lien mère-enfant est puissant, sous-tendu par un primat biologique. » On voit resurgir ici l’idée que toute séparation d’avec la mère, même de courte durée, est néfaste pour l’enfant. Ce qui avait amené Spitz à condamner le travail extérieur des mères jusqu’à l’entrée de l’enfant à l’école primaire. Mais ce qu’il convient de souligner c’est qu’une telle courte séparation est présentée comme une véritable rupture, terme qui explicite les présupposés de l’auteur ; alors que n’est fait aucun cas du lien de l’enfant au père. Dans cette optique, tout passage à la garderie, chez les grands-parents ou chez des proches, peut être considéré comme pathogène pour le jeune enfant, quel que soit le travail de préparation que pourraient effectuer par ailleurs les parents, les professionnels ou les accueillants des lieux de la petite enfance… Ainsi est rappelée sans ménagement une prévalence absolue de la mère, alors que les travaux postérieurs à la théorie de l’hospitalisme et qui l’ont relativisé ne sont pas pris en compte, et tout se résume à la nécessité du maintien d’une relation constante mère-enfant.
Du coup, ma réponse circonstanciée dans Dialogue a entraîné une réaction conjointe de ces deux auteurs en des termes beaucoup moins choisis, frôlant parfois l’injure, dans la revue professionnelle dont ils font partie, La lettre de psychiatrie française (2003). La relever ici sert d’abord une double illustration : la première renvoie au caractère exemplaire de la résidence alternée comme enjeu socio-politique, les auteurs appelant à les soutenir dans leur démarche « auprès des Ministères concernés » pour que « des propositions d’amendement du texte législatif » soient formulées ; la seconde illustration concerne la façon dont les spécialistes du psychisme sont généralement incités à occuper une position conservatrice, au nom de ce que seraient des lois de la psyché et le nécessaire maintien d’un « ordre symbolique » menacé. Le fond de l’argumentation réside dans le fait que « ce n’est pas parce que des adultes décident d’exercer différemment leur rôle parental que les besoins des bébés changent. Ceux-ci sont les mêmes depuis des siècles et demeureront toujours les mêmes. » Par delà son contexte polémique, cette citation exprime une position toujours très présente chez un grand nombre de « psy » : l’idée qu’existe une indéfectible nature humaine, que les disciplines psychologiques seraient progressivement en mesure de nous dévoiler. Exit l’histoire et les évolutions culturelles, tout au fond, dans l’archaïque, les choses sont immuables, nous disent-ils, et les rôles sont déjà distribués, du fait essentiellement de la différence des sexes et la logique implacable de ses implications. Or, si l’on peut penser que les bébés auront toujours besoin de nourriture et d’amour, on peut se demander si la prépondérance maternelle en la matière, théorisée il y a une cinquantaine d’années et plus, doit être véritablement considérée comme exclusive d’autres attachements utiles au bien-être et à l’équilibre du bébé.
c. Spécificités sexuées de la procréation et places parentales
Qu’est-ce qui permet d’affirmer qu’une résidence en alternance est a priori plus préjudiciable à l’enfant qu’une résidence unique chez la mère ? A ma connaissance rien qui n’ait jamais été démontré sur l’ensemble des situations de parentalité. Certes, personne ne conteste que dans la plupart des cas la prédisposition bio-culturelle des mères fait que celles-ci s’investissent davantage dans la relation au bébé. L’avance prise en quelque sorte par la mère dans la relation parentale tient à sa fonction matricielle, à l’expérience unique que la vie intra-utérine du bébé procure tant à celui-ci qu’à la femme qui le porte. L’importance de cette période archaïque ne peut être niée, même si à la naissance les positions parentales, et plus encore les positions paternelles, peuvent être très diversifiées. « Les conséquences de la rencontre avec la mère, conceptualisée en relation d’objet, viennent alors masquer que la préhistoire du sujet a pour accueil le réel sexué de son corps en tant que femme […] L ‘expérience de sensorialité première à laquelle cet accueil donne lieu fait trace humanisante dans l’indéfectible de la chair, avec l’empreinte du vécu subjectif de la mère auquel le père participe. » (Rossi, 2004) Selon leurs histoires, leurs milieux, leurs cultures, leurs relations à leurs conjointes, les pères vont alors se sentir plus ou moins autorisés à tenir d’emblée une position parentale concrète, et à investir ou non une proximité au bébé dès la naissance. De ce fait, leur position apparaît plus variable, et souvent plus fragile, comme le montre bien Monique Bydlowski (1997) dans son approche de l’imaginaire parental, alors qu’ils ont mis en place eux aussi dès le projet de conception un rapport imaginaire au bébé, longtemps dénié par notre tradition culturelle (Delaisi, 1981 ; This, 1980), rapport articulé à un projet parental plus ou moins exprimé.
Il faut ainsi reconnaître qu’encore beaucoup de pères ne seraient pas capables de prendre la place que tient leur conjointe sur les différents plans du soin et de l’éducation jusqu’à un âge relativement avancé. Mais, sauf exception (parfois liée à une position pathologique), ces pères en cas de séparation ne demandent pas de résidence alternée de leur enfant, encore moins s’il s’agit de leur bébé. Il s’avère cependant que, essentiellement dans les couches moyennes, d’autres pères sont très investis dans le soin à leur bébé dès la naissance et se constituent en figure d’attachement pour celui-ci autant que la mère, et quelquefois même plus. En cas de séparation, la demande de résidence alternée est alors logique, et s’inscrit dans ce que ces parents perçoivent comme la préservation de l’intérêt de l’enfant, même si cela ne concerne qu’un nombre limité de cas. Pourquoi ces situations minoritaires devraient-elles être appréhendées selon un modèle qui ne les concerne pas ? Pour la plupart des cliniciens, la présence de deux figures principales d’attachement pour un bébé demande à être préservée. Le refus de l’alternance, qui prive le bébé de l’une d’entre elles, semble alors participer plus d’une position idéologique et politique que de l’analyse strictement scientifique dans laquelle se drapent ses opposants. L’absence plus ou moins prolongée d’un père impliqué (Le Camus, Zaouche-Gaudron, 1998) n’engendrerait-elle pas aussi des souffrances et des carences préjudiciables à son bien-être ? Cela ne revient pas pour autant à penser les parents comme interchangeables, en déniant la spécificité de leur position sexuée... De fait, de nombreux témoignages de parents, et d’enfants ayant vécu l’alternance de résidence, montrent que, lorsque les liens psychiques sont établis, celle-ci peut être bien vécue à tout âge, quitte à aménager sa réalisation aux caractéristiques de l’enfant. La stabilité des liens est sans doute alors plus importante à préserver qu’une unicité obligatoire du lieu de vie. Il convient cependant d’être prudent et de préparer d’autant mieux les modalités d’une alternance que l’enfant est jeune et évolue, de ce fait, rapidement. Certains vont alors jusqu’à proposer l’alternance de la présence parentale au lieu de résidence de l’enfant lorsque celui-ci est encore bébé.
De façon plus générale, de nombreux cliniciens rappellent que les cas de fixation exclusive à la mère, facilitée par la prédisposition biologique liée à la gestation, ne sont pas forcément une bonne chose pour l’enfant, que ce soit du fait de la tendance de ces mères à la captation de celui-ci, ou au contraire de leur difficulté à investir affectivement l’enfant (Neyrand et alii, 2004). Bien souvent, la présence de l’autre parent est ce qui permet d’équilibrer la relation filiale, voire de la restaurer, et à la séparation il n’est pas sûr que l’exclusivité parentale soit la meilleure solution dans tous les cas. Loin de là me dit mon expérience de chercheur auprès des enfants de parents séparés, alors même que ces cliniciens rappellent les risques d’un attachement maternel trop exclusif. Dans ce contexte, et compte-tenu de la valeur centrale accordée désormais à l’enfant et la focalisation du discours social sur les relations à celui-ci, la pédophilie, par exemple, a été constituée en « problème de société », inaugurant l’ère du soupçon généralisé (Gavarini, Petitot, 1998). La figure du père abusif y a pris une place centrale. Par delà les accusations infondées dont certains pères sont devenus les cibles pour leurs ex-conjointes, dans une stratégie pas toujours très claire de rupture totale du lien paternel, la prépondérance des hommes dans ces situations d’abus est mise en avant. Ce qui exonère les mères de toute potentialité abusive. Or, les choses ne sont pas aussi caricaturales, comme le fait remarquer Caroline Eliacheff : « On ne recense en France que 10% de pédophiles femmes parce qu’on se focalise sur l’acte sexuel, dont la trace peut valoir preuve en justice. Or l’inceste se définit par une autre caractéristique tout aussi importante : la formation d’un couple par exclusion du tiers. Une relation mère-fille (ou mère-fils) dont le père est exclu peut être qualifiée “d’inceste platonique”, selon l’expression de Nathalie Heinich. En littérature, Hervé Bazin appelle “maternite” ce basculement d’une jeune épouse en mère absorbée par sa maternité, délaissant son mari et sa propre identité d’épouse, et troquant la sexualité conjugale contre la sensualité maternelle. En psychanalyse, Winnicott l’appelle “préoccupation maternelle primaire”. A mesure que l’enfant grandit, l’inceste platonique prend la forme d’une emprise grandissante allant jusqu’à ce que la psychanalyste Alice Miller appelle “l’abus narcissique” : les dons de l’enfant sont exploités pour combler les aspirations insatisfaites ou refoulées d’une mère idéalement dévouée. Comme les filles deviennent rapidement parties prenantes de cette relation d’emprise, ce versant négatif de l’amour maternel est difficile à débusquer : comment et à qui se plaindre d’un excès d’amour ? » (Eliacheff, 2004) En termes de situations pathogènes, les risques sont donc loin de se focaliser sur les seules situations d’alternance, les autres situations de vie le sont tout autant, y compris d’ailleurs les situations bi-parentales classiques, ce qui depuis Freud n’est plus un secret pour personne…
Ce rappel effectué, il ne saurait être non plus question de dénier que dans certaines situations la violence masculine est bien réelle, comme nous avons pu le constater dans notre étude sur les femmes en situations monoparentale précaire (Neyrand, Rossi, 2004). Cette réalité a paradoxalement engendré une hostilité à la résidence alternée, portée par tout un courant du féminisme.
d. Les réticences ambiguës d’un féminisme dit radical
Un certain nombre d’entrées en situation monoparentale s’effectuent ainsi sous le signe de la violence conjugale ou parentale. Le courant féministe qui a dénoncé la résidence alternée comme moyen de continuer à perpétuer l’oppression paternelle est venu prendre à rebrousse-poil la plupart des convictions féministes sur la question, en développant une critique très virulente de cette pratique, dans la période qui a précédé le vote de la loi et après sa mise en place. Ce féminisme se définit comme « radical ». Inspiré par un courant des mouvements féministes d’outre-Atlantique, il s’est appuyé essentiellement sur deux objections pour développer son argumentation contre la résidence alternée : la violence de certains hommes à l’égard de leurs ex-conjointes, que l’alternance leur donnait l’occasion de reproduire, et la possibilité que des pères incestueux utilisent une telle solution pour continuer leurs agissements coupables (Nouvelles questions féministes, 2002).
Vu la gravité des actes évoqués, on ne peut prendre à la légère de telles objections, mais il convient de rappeler, là encore, que l’on se trompe de cible. Non seulement la question est complexe et peut facilement être détournée, on l’a vu, mais elle n’a que peu de rapport avec la résidence alternée : ces pratiques sont bien antérieures à la séparation et, dans les situations de précarité, où la violence est souvent très présente, les pères qui se séparent demandent très rarement une résidence alternée de leurs enfants. Ce sont d’autres types de difficultés relationnelles avec leurs ex-conjoints que les femmes précarisées se retrouvent devoir gérer. De plus, la violence conjugale et l’inceste ou la pédophilie sont des pratiques condamnables et condamnées, et lorsque de tels actes sont avérés leurs auteurs en sont punis.
Ainsi, le fait que, dans de rares cas, l’alternance des résidences ait pu être l’occasion de commettre de tels délits est regrettable, mais ne peut remettre en cause son fondement, qui demeure la reconnaissance de l’égalité des sexes et du double lien de l’enfant à ses parents. Sentiment partagé par nombre de féministes, comme par exemple Michèle Ferrand (2004), qui déclare à propos de la loi de 2002 : « Cette loi me paraissait au contraire assez égalitaire, offrant des possibilités pour l’invention de nouveaux rapports hommes/femmes dans le traitement de la parentalité […] Il me semblait évident qu’il fallait refuser la garde alternée à un homme responsable de violences sur sa femme ou sur ses enfants, ou à un père incestueux. Je ne vois pas comment une loi pourrait permettre cela. En revanche, j’étais très gênée, chez certaines féministes, par cette remontée de l’essentialisme féminin qui faisait de la mère l’archétype du parent – ce qui est complètement contraire à ce qu’est pour moi le féminisme. Le féminisme visait à sortir du destin biologique de l’assignation à la maternité forcée et à promouvoir le partage parental… »
La plupart des femmes interrogées à ce sujet ne s’y trompent pas, et, contrairement à ce qu’on pourrait donner à penser, il existe sans doute au moins autant de femmes qui regrettent que leur ex-conjoint ne puisse envisager une alternance que d’hommes qui souhaiteraient la même chose de la part de leur ex-conjointe.
4/ La différence des sexes comme enjeu politique
Si l’on peut tirer de ces multiples débats un enseignement, c’est que, dans une société en pleine mutation, où les femmes ont investi l’espace professionnel et où le politique est sommé d’assumer une parité qu’il a si longtemps récusée, l’espace privé est devenu le lieu où se recentre la différence des sexes et les affirmations identitaires de la virilité et la féminité, essentiellement autour de la sexualité, la reproduction et le rapport différencié à l’enfant. Cela permet d’illustrer que la façon dont la différence des sexes est problématisée à travers la parentalité constitue bien un enjeu d’ordre politique, et que la relation à l’enfant n’est pas seulement une relation d’ordre privée.
L’hostilité de principe de certains pédopsychiatres à cette solution de gestion de l’après-séparation ne semble donc pas découler seulement du constat du mal-être de certains bébés dans certaines de ces situations, mais aussi, et plus globalement, de présupposés sur ce que peut être la bonne famille, et la bonne répartition des rôles parentaux, à l’exclusion des autres modalités possibles d’élaboration ou de réorganisation du lien familial. Une position, en définitive, politique, au sens où il s’agit bien de vouloir réglementer de manière normative ce qu’il doit en être de l’ordre familial, au prétexte de la défense de ceux qui ne peuvent s’y exprimer plus explicitement : les bébés. De telles prises de position, relayées par les médias et diffusées en direction du monde politique, si elles présentent l’avantage de rappeler qu’il ne faut pas procéder n’importe comment en matière de résidence alternée, montrent que les enjeux du débat sur la résidence alternée ne sont pas minces, et viennent rappeler que, à travers les conceptions de la place de chacun des parents à l’égard de l’enfant, ce sont plus globalement des conceptions de l’ordre du monde et de la société qui sont aussi en jeu. L’évolution sociale a permis l’émergence de nouveaux positionnements privés et de nouveaux comportements parentaux, dont la diffusion leur a donné une visibilité nouvelle. La beau-parentalité questionne aujourd’hui la société sur la position que celle-ci doit adopter à son égard : le droit, pour l’instant n’en dit rien. Mais d’autres pratiques viennent interroger encore plus fondamentalement l’ordre socio-juridique : tout ce qu’a pu autoriser l’Assistance médicale à la procréation avec donneurs de gamètes, mais aussi la reconnaissance de l’existence de situations de plus en plus fréquentes d’homoparentalité. Si c’est bien l’évolution sociale, avec la dissociation désormais acquise entre sexualité, conjugalité et parentalité, qui a permis que soit désormais reconnue la conjugalité homosexuelle, elle a aussi permis qu’émerge, dans le cadre même des couples homoparentaux, et lorsque les configurations le permettent, une préoccupation pour une résidence en alternance entre père et mère biologiques (Gross, 2000). Le désir chez certains couples gays et couples lesbiens que la relation parentale à l’autre sexe soit aussi vécue au quotidien indique l’importance des préoccupations liées à la différence des sexes, aux lignées filiatives, et aux identifications sexuées dans l’esprit de beaucoup de parents, y compris les plus atypiques (Beaumatin et alii, 2003), tant les acteurs sociaux ou les sujets psychiques se sentent interpellés par les mutations en cours. Mutations qui placent l’individu face à la responsabilité d’assumer les conditions de sa propre vie (de Singly, 2000), avec toutes les difficultés que cela peut représenter (Ehrenberg, 1998 ; Castel, 2003).
Comme le dit très bien Irène Théry (2001) : « la société démocratique naissante a déplacé le centre de gravité de la confrontation des sexes. Même si le monde public est masculin, c’est désormais dans la vie privée, la sexualité et la reproduction, que se joue l’essentiel de la distinction de la virilité et de la féminité. C’est pourquoi l’assignation des femmes à la sphère domestique est si ambiguë », et c’est aussi pourquoi, ajouterais-je, le statut de l’enfant a tellement changé en même temps que se redéfinissait la place de chaque sexe l’un par rapport à l’autre. Plus que la sexualité, que le rapport à l’espace public ou à l’espace domestique, c’est le rapport à l’enfant qui est chargé de continuer à différencier les positions sociales de l’homme et de la femme.
Ce qui ne manque pas de rendre suspecte une pratique comme la résidence alternée, en ce qu’elle organiserait une indifférenciation des sexes et des fonctions parentales, un déni de la spécificité matricielle de la maternité (Rossi, 2002), et une interchangeabilité du père et de la mère, qui ne pourrait introduire que de la confusion dans l’esprit de l’enfant en mettant en cause la stabilité de ses repères. Repères sexués beaucoup plus que spatio-temporels. Si l’analyse des pratiques montre bien que ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans l’alternance des résidences de l’enfant, il n’empêche que ce fantasme de l’indistinction sexuelle joue ici à plein pour alimenter les craintes à l’égard d’une pratique qui n’en demandait pas tant, et que ses détracteurs qui en ressentent une ambiguïté la ressentent comme interrogeant les identités sexuelles. Il s’agit alors de rappeler, pour désamorcer ce fantasme si enraciné dans l’archaïque, que le père qui s’occupe de l’enfant n’en devient pas pour autant une mère, et ne la remplace pas, que s’occupant du bébé il ne materne pas mais paterne, en d’autres termes s’occupe de l’enfant dans un style « masculin » (Le Camus, Zaouche-Gaudron, 1998), et qu’entretenir les deux liens parentaux ne signifie pas les rendre indistincts.
Le système social est mis ainsi devant le défi d’avoir à soutenir les compétences des parents pour qu’ils arrivent à déterminer eux-mêmes la moins mauvaise des solutions d’après séparation. C’est le sens qu’a pu avoir la mise en place des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, ou la promotion de la médiation familiale (Babu et alii, 1997 ; Sassier, 2001), dans un contexte qui tend de plus en plus à reconnaître que l’enfant qui continue à bénéficier, malgré la séparation conjugale, de la présence successive de ses deux parents deviendra d’autant plus facilement apte à maîtriser un double attachement différencié, autant qu’à se construire au regard de l’affirmation d’une double identité parentale sexuée.
Cette mise en perspective des questions soulevées par la pratique de la résidence alternée montre à quel point celle-ci, en interrogeant les instances productrices des normes de régulation sociale de la vie privée, le droit et les sciences humaines, sur la reconfiguration des fondements anthropologiques des sociétés occidentales, constitue un révélateur des contradictions et des angoisses portées par le processus de démocratisation familiale. En ce sens, les enjeux sous-jacents au débat qu’elle a suscité dépassent largement le cadre de sa simple pratique, mobilisant le droit et les rapports normatifs autour de cette recomposition des rapports sociaux sexués au sein de la sphère parentale, et plus globalement au sein de l’espace social.
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Ecrit par libertad, le Vendredi 16 Septembre 2005, 15:59 dans la rubrique Le quotidien.
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