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La révolution de l'amour
L'amour, acte révolutionnaire pour l'individu et la société, voilà qui peut surprendre !Pourtant c'est la thèse développée par E. FROMM.Erich FROMM (1900-1980 ) psychanalyste marxiste, appartient à l'école de Francfort, pourtant ses conceptions peuvent rejoindre celles du courant anarchiste individualiste. Les écrits de FROMM ouvrent des perspectives enrichissantes et fécondes pour l'anarchisme. C'est l'une de celles-ci qui sera présentée ici, celle de l'amour comme acte révolutionnaire, pour l'individu mais aussi contre le système capitaliste et patriarcal.Pour FROMM la révolution de l'amour est l'alternative à la destruction de l'humanité. C'est le propos de son livre "L'art d'aimer" un art qui fait l'homme libre. (Editeur Desclée de Brouwer). FROMM postule que l'amour est un art et à ce titre nécessite connaissance et effort, alors que la plupart des gens le considèrent comme un effet du hasard, une chance.On pense habituellement que le problème essentiel est d'être aimé et non d'aimer. . On pense aussi qu'en amour l'important, c'est de trouver le bon objet et non d'avoir la faculté : deux personnes tombent amoureuses "lorsqu'elles ont le sentiment d'avoir découvert le meilleur objet disponible sur le marché, compte tenu des limitations de leur propre valeur d'échange".
Il existe également une confusion entre tomber amoureux et être amoureux. Tomber amoureux c'est laisser s'abattre le mur qui sépare les individus, c'est un miracle de soudaine intimité facilité par la consommation sexuelle. Mais ce type d'amour est éphémère, l'intimité perd son caractère miraculeux, antagonismes et déceptions reprennent le dessus.
Alors que les témoignages accablants montrent la difficulté d'aimer, on a coutume de considérer qu'il n'y a rien de plus facile et que nul n'a apprendre sur le sujet.
Or l'amour est un art qui nécessite de maîtriser la théorie et la pratique, il doit devenir la préoccupation ultime de l'individu.
` La théorie de l'amour `
L'homme est vie consciente d'elle-même", de sa solitude, de sa séparation, de son impuissance devant les forces de la nature et de la société". L'expérience de la séparation d'avec la nature est source d'angoisse et suscite un sentiment de honte et de culpabilité.
Dès lors comment surmonter cette séparation et trouver l'unicité ?
La première solution partielle se trouve dans les états orgiaques (abolition du moi séparé ). Les rituels dans les tribus primitives font apparaître une exaltation collective, une fusion au groupe au cours de laquelle le monde extérieur disparaît. Ces orgies sexuelles permettent d'atteindre un orgasme amenant à l'état d'extase.
Ces rituels sont admis par le groupe et ne suscitent ni angoisse, ni culpabilité.
Alors que dans une société qui a renoncé à ces pratiques, ceux qui s'y adonnent (en se réfugiant dans l'alcool ou les drogues ) se sentent encore plus angoissés quand l'expérience prend fin. Quant à ceux qui recherchent l'orgasme sexuel pour échapper à l'angoisse de séparation, l'acte sexuel ne comble la distance entre les individus que pour un instant, ils se retrouvent ensuite avec un sentiment croissant de séparation."Toutes les formes d'union orgiaques ont trois caractéristiques : elles sont intenses, même violentes ; elles mettent en jeu la personnalité totale, esprit et corps ; elles sont transitoires et périodiques".
La seconde solution partielle se trouve dans le conformisme. L'union au groupe constitue un moyen de surmonter la séparation : "c'est une union où, dans une large mesure, le soi individuel disparaît, et dont le but est d'appartenir à la foule." Par peur d'être différent les gens veulent se conformer à un degré bien plus élevé qu'ils n'y sont contraints. Ils se contentent de manifester leur différence sur des points mineurs".
Dans la société capitaliste, l'égalité des individus devient une égalité d'automates, d'hommes faisant les mêmes choses, ayant les mêmes idées et les mêmes sentiments. L'égalité des femmes a ainsi été pervertie, celle-ci se paie par l'élimination des différences : la polarité des sexes est entrain de disparaître. "Le processus social requiert la standardisation de l'homme, et cette standardisation, on l'appelle "égalité".
L'union par conformisme est dictée par la routine mais suffit rarement à calmer l'angoisse de séparation. Elle concerne surtout l'esprit et peu le corps. Son seul avantage est d'être permanente.
La troisième solution partielle se trouve dans le travail créateur ou la personne s'unit avec son matériau. Mais dans le système économique, le travailleur devient un appendice de la machine ou de l'organisation bureaucratique, il n'y a plus de vrai travail créateur.
L'amour est la seule solution humaine. "Le désir de fusion interpersonnelle est le plus puissant dynamisme en l'homme". L'amour est la réponse plénière au problème de l'existence mais de quel amour s'agit-il ?
Il existe des formes imparfaites de l'amour, par exemple l'union symbiotique. Il s'agit d'unions dont le modèle est la relation mère-foetus. La forme passive se trouve dans le masochisme et la forme active dans le sadisme.
L'amour n'est une activité libre que s'il consiste essentiellement à donner, non à recevoir, sinon il s'agit d'une "passion" résultant d'une motivation inconsciente.
Le don constitue la plus haute expression de la puissance : "donner est source de plus de joie que recevoir" parce qu'il exprime de vitalité.
La sphère la plus importante du don ne se situe pas dans les choses matérielles mais dans les relations humaines : donner de sa vie. Celui qui donne ainsi de sa vie"enrichit l'autre, il en rehausse le sens de la vitalité en même temps qu'il rehausse le sien propre". Dans le don, chacun est reconnaissant à l'autre de la vie qui nait pour les deux.
La capacité d'amour en tant que don, nécessite d'avoir surmonté la dépendance, le narcissisme, le désir d'exploiter et d'avoir acquis la foi en ses propres possibilités. Si ces qualités ne sont pas acquises la personne a peur de se donner, donc d'aimer.
FROMM, malgré cette analyse fort lucide des capacités d'amour ou de l'impossibilité d'aimer, conserve malgré tout une vision volontariste de l'amour, en s'appuyant sur des écrits, bien surprenants de MARX : "l'amour est un pouvoir qui produit l'amour ; l'impuissance est l'incapacité de produire l'amour."C'est oublier que nul sentiment ne peut s'imposer à l'autre, s'il ne correspond à sa propre évolution et à sa capacité d'aimer ou non. A moins d'avoir une vision magique du pouvoir de l'amour, comment croire que l'amour fasse naître automatiquement le même sentiment chez l'autre ?
D'autre part il évite d'analyser le refus du don dans la relation, car pour pouvoir donner, il faut que ce don soit accepté par l'autre, comment donner à celui qui refuse ? Accepter le don, l'amour de l'autre, c'est déjà aimer, donc donner.
Pour FROMM l'amour est sollicitude, responsabilité, respect et connaissance. "L'amour est une sollicitude active pour la vie et la croissance de ceux que nous aimons."
Le désir d'union repose également sur un besoin biologique : l'union des pôles masculin et féminin. Le mythe des êtres androgynes primitifs est l'expression de cette recherche de l'unité perdue. Cette polarité est à la fois extérieure : recherche de l'autre pour trouver l'union, mais aussi intérieure. Au niveau physiologique, hommes et femmes possèdent des hormones du sexe opposé, psychologiquement ils sont aussi bisexués. Hommes et femmes ne réalisent leur union intérieure que par la conjonction de leur pôle masculin et féminin (pénétrer et recevoir ). Le rapprochement avec les idées de JUNG sur "l'anima" et "l'animus" est en ce domaine assez saisissant, tout comme la parenté avec des philosophies beaucoup plus lointaines : tantrisme, taoïsme, des convergences riches de perspectives apparaissent dans ce domaine des pôles intérieurs masculins et féminins.
L'amour érotique bien qu'exclusif ne saurait être un égoïsme à deux, il doit aussi comporter une dimension d'amour fraternel, pour s'ouvrir aux autres. L'amour érotique est à la fois attirance individuelle unique et aussi acte de pure volonté.
Cette exclusivité de l'amour érotique que postule FROMM est contestée par ARMAND qui toute sa vie a prôné l'amour plural et la camaraderie amoureuse. Au fond, la dimension fraternelle de l'amour érotique ne s'exprime-t-elle pas dans l'amour plural ?

] L'amour de soi ]
Il ne doit pas être confondu avec le narcissisme qui représente le premier stade du développement humain, celui qui régresse à ce niveau est incapable d'aimer. L'amour de soi est souvent assimilé à l'égoïsme, celui-ci traduit-il réellement un souci de soi-même ?
En fait l'amour est indivisible, il concerne à la fois les autres et soi : : "si quelqu'un est capable d'amour productif, il s'aime également, s'il ne peut aimer que les autres, il n'aime en aucune façon". La personne égoïste se hait elle-même, elle est vide et malheureuse, "avide d'arracher à la vie les satisfactions qu'elle pourrait obtenir si elle n'y faisait elle-même obstacle."

P La pratique de l'amour P
Il n'est pas possible de donner de recettes dans ce domaine : "l'amour est une expérience personnelle qu'il nous appartient de réaliser par nous-mêmes."
"Pour ce qui est de l'art d'aimer, ceci signifie que quiconque aspire à devenir un maître dans cet art doit commencer par pratiquer la discipline, la concentration et la patience dans chaque phase de sa vie."
La discipline ne doit pas être une règle pénible, imposée mais ressentie comme un style de vie.
Pour pratiquer la concentration, il faut apprendre à rester seul avec soi-même, c'est une conception essentielle de l'aptitude à aimer : faire le vide en soi-même. Se concentrer signifie aussi savoir écouter, "vivre pleinement dans le présent, dans le ici et maintenant, sans penser à ce que l'on fera par la suite.
Nous devons aussi avoir foi en nous-mêmes, en ce noyau immuable de notre personnalité. Seul celui qui a foi en lui-même peut avoir foi dans les autres et dans leurs virtualités.
Enfin "pour aimer, comme pour se laisser aimer, il faut avoir le courage de juger certaines valeurs, comme étant d'importance ultime et alors de faire le saut et de tout miser sur elles."

à La pratique de l'amour dans la société actuelle à
C'est le principe d'équité qui au mieux (sur ce point nous ne rejoindront pas FROMM, l'équité n'est qu'un leurre dans le système actuel où le profit et le goût du pouvoir dominent ) gouverne les rapports humains dans la société capitaliste. Faire preuve d'équité " c'est ne pas se sentir responsable ni un, mais distant et séparé ; c'est respecter les droits de son prochain, mais sans nécessairement l'aimer."
FROMM considère que le principe sous-tendant la société capitaliste et le principe de l'amour sont incompatibles. Le système accepte toutefois une certaine dose de non-conformisme et cantonne l'amour dans un rôle marginal."Dès lors si l'on prend l'amour au sérieux en le considérant comme la seule réponse rationnelle au problème de l'existence, on est forcé de conclure que des changements importants et radicaux dans la structure de la société sont indispensables pour que l'amour devienne un phénomène social, et non plus marginal, hautement individuel."



La révolution de l'amour


Ecrit par libertad, le Dimanche 24 Novembre 2002, 15:38 dans la rubrique Sexualité et amour libre.