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Amour et anarchie : l'amour libre
Le mouvement libertaire contemporain se replie frileusement sur l'analyse politique et sociale abandonnant le champs de la vie quotidienne aux tenant du retour à l'ordre moral.Notre projet est pourtant ambitieux, nous voulons changer la société, rien que cela, mais sommes-nous capables de changer notre vie ? Plus que tout autre courant politique, le mouvement libertaire dispose d'un acquis théorique, en ce domaine, forgé au travers de son histoire.Cet acquis semble, aujourd'hui oublié, voire dilapidé.Bien sur nous combattons pour le droit à l'avortement, cette lutte est juste et doit être entreprise. Mais il s'agit d'un combat défensif où nous nous situons par obligation sur le terrain de l'adversaire, au gré des actions des commandos anti-ivg. Mais qui aujourd'hui s'intéresse à l'éducation des enfants par les parents ? Sommes-nous muets sur ce point ? Que faisons-nous de nos enfants ? Les relations entre hommes et femmes sont en crise, c'est une évidence que les statistiques ne parviennent pas à masquer : divorces, familles monoparentales, etc. . Le mouvement féministe imposa une avancée considérable en matière d'égalité économique et de division des tâches au sein du couple (tout ceci est encore fragile et sujet à des retours en arrière ). Mais son apport fut bien plus faible dans le domaine des comportements, des rapports profonds entre hommes et femmes.
La question de l'amour, du sentiment amoureux, du désir fut bien peu abordée. Toutes ces questions sont pourtant au cur des difficultés et des incompréhensions entre les hommes et les femmes.
Pourtant, nous n'avons pas besoin de l'Etat pour nous aimer, et nous nous aimons si mal. Cette question devrait nous interroger : point n'est besoin d'attendre "le matin du grand soir" ou la grève générale expropriatrice" pour réaliser l'amour libre et pourtant nous échouons à transformer notre propre vie. Bien sur, il n'est pas ici question de vouloir nier l'importance de l'idéologie dominante, comme disait ce vieux Marx, nous en sommes tous imprégnés. Mais au moins essayons de briser nos chaînes mentales.
Au début de ce siècle, le courant individualiste, mais il ne fut pas le seul, s'attaqua de front à ces questions, pour y développer un point de vue anarchiste.
Les brochures, les conférences, les livres sur le thème de l'amour libre furent nombreux, il serait trop long dans le cadre d'un article de vouloir développer tous les points de vue et arguments en présence, notamment entre partisans de l'amour plural et de l'amour exclusif.
Cet article vise à donner un éclairage plus particulier sur ce thème, en donnant le point de vue de femmes de l'époque. La parole des femmes sur la question de l'amour libre, bien que minoritaire, par la quantité des textes produits, n'en est que plus intéressante puisqu'elle représente la moitié de la question, pour un couple hétérosexuel. Parole de femmes d'autant plus intéressantes pour les hommes et en particulier, pour un homme, rédacteur de cet article.


Madeleine VERNET et l'amour libre

En 1907, les Editions de l'Anarchie publient une brochure de 15 pages rédigée par Madeleine VERNET, intitulée "L'amour libre".
Celle-ci y explique que nul ne peut répondre de la stabilité de l'amour. Plus que tous les autres sentiments de l'être humain, il est changeant et fugace parce qu'il n'est pas seulement une affection du cur mais aussi un désir des sens et un besoin physique.
L'homme et la femme doivent avoir le droit absolu de se quitter le jour où ils ne se désirent plus. M. VERNET précise : je ne dis pas où ils ne s'aiment plus, mais bien le jour où ils ont cessé de se désirer. Car se sont là choses distinctes. On peut cesser de désirer une femme et l'aimer encore ; on peut ne plus vouloir de l'amant et rester fidèle à l'ami.
La femme si elle se résigne, si elle accepte le devoir sans amour, quand bien même elle avouerait aux autres et à elle-même qu'elle n'a pas de désirs, qu'elle n'éprouve aucun besoin charnel, elle trompera tout simplement et les autres et elle-même.
L'amour, c'est la communion complète de deux cerveaux, de deux curs, de deux sensualités, alors que le désir, ce n'est que le caprice de deux épidermes qu'un même frisson de volupté réunit. Rien n'est passager et instable comme le désir, pourtant nul de nous n'y échappe.
Il existe des jours et des moments où la sensualité est en quelque sorte exaspérée, ce n'est pas de l'amour mais uniquement du désir, désir qui parfois revêt les apparences de l'amour. Assouvi, il laisse les deux amants parfaitement étrangers l'un à l'autre.
M.VERNET considère le mariage comme la chaîne qui retient l'homme et la femme prisonniers l'un de l'autre, quant au "devoir conjugal", elle l'assimile à la prostitution :
Prostitution la soumission au mari ; prostitution la résignation et la passivité. Prostitution encore que l'union libre quand elle passe de l'amour à l'habitude. Prostitution, enfin, tout ce qui rapproche les sexes en dehors du désir et de l'amour.
Dans sa brochure Madeleine VERNET prit parti entre les partisans de l'union monogamique ou de l'amour plural, en faveur des seconds :
de la diversité des sentiments naît la diversité des désirs, et si l'on admet cette diversité comme loi essentiellement naturelle, on ne peut plus soutenir la loi monogamique. Libres avant de se connaître, s'étant aimés librement, liés librement, l'homme et la femme doivent se retrouver libres après la liaison, quand le désir ne les attire plus l'un vers l'autre, et que l'amour a cessé de les réunir.
La publication de la brochure de Madeleine Vernet va susciter un vif débat en particulier dans le journal individualiste L'Anarchie. Une jeune femme Lucienne Gervais explique comment elle fut amenée à y participer :
Les anarchistes sont taquins. Ainsi aux Causeries comme j'arrivais, on me remit la brochure de Madeleine Vernet sur l'amour libre en me disant : " Le bibliophile est paresseux ; si nous comptons sur lui pour parler de notre brochure, nous pouvons attendre longtemps. D'ailleurs n'est-ce pas à toi à faire cette critique. Voilà l'occasion de donner ta façon de penser et d'agir sur un sujet aussi controversé". Il y avait quelque malice dans le ton et je sentis les regards de quelques amis peser sur moi, légèrement moqueurs. J'ai pris la brochure et j'ai répondu un peu par bravade ; "Vous avez raison. C'est à moi de faire ce travail et je n'y manquerai pas".


L'amour n'est pas libre

Pour Lucienne Gervais l'amour libre n'existe pas dans l'organisation sociale actuelle, pourtant c'est la femme qui peut arriver à vivre ses sensations amoureuses avec bien moins de difficulté que l'homme :
L'homme se heurte, dans la satisfaction de ses sens à la pudibonderie, à la moralité de la femme qui, alors que le désir est conforme au sien se refuse à le reconnaître, à le satisfaire en se satisfaisant. La femme éprouve une sorte de volupté douloureuse qu'elle ne peut analyser, en se défendant contre l'emprise de l'homme. Elle est arrivée à considérer- et je parle des plus"émancipées"- son volontaire abandon comme une chute. Elle se plaît à laisser concevoir leur mutuelle possession comme une victoire à l'actif de l'homme...
La femme peut avoir l'impression qu'elle est libre de se donner, que c'est d'elle que dépend l'acte ou le non-acte ! L'homme prie, supplie, promet, toujours il fait entrer dans ses paroles des sentiments absolument étrangers à la cause qu'il soutient au fait du désir qu'il faut susciter ou de l'amour qu'il faut faire naître... Jamais l'homme n'a la douce impression de l'amour libre, du désir libre comme la femme peut avoir l'orgueil, le bonheur de le connaître.
Elle aborde aussi la question du désir féminin et de l'engagement révélé au cours de l'union des sexes :
J'étais prête à céder à des désirs de volupté et aussitôt je sentais que je m'engageais, que je pouvais me tromper sur la qualité, la valeur de cet homme. J'aurais été, avec joie, sa compagne d'une heure, l'idée d'une prise plus grande m'effrayait. L'obstacle ne viendrait-t-il pas de l'homme qui m'ayant approchée une fois, se fera un "droit" pour une deuxième, sans s'occuper de mes sentiments intérieurs ? Je veux me donner librement et me reprendre librement... ? Mais la manifestation des désirs féminins, même dans nos milieux est encore considérée comme une grossièreté.
Lucienne Gervais considère également l'union libre et la cohabitation comme des pis allers entravant le libre développement individuel, excitant, trop au début, le désir, pour apporter rapidement le calme de la trop facile satisfaction ; faisant une habitude monotone de ce qui doit être toujours une chose voulue, désirée.
Moi, je vois l'amour, enfin libre, faisant le pied de nez aux morales surannées et aux vieilles coutumes. Je vois l'amour, faisant le pied de nez au vieux monde. ...
Comprenons bien que nous sommes des individus qui s'en vont seuls. L'amitié et l'amour ne peuvent nous donner que des compagnons de voyage dont le but ne saurait toujours être le même que le nôtre.

L'amour, le désir, la cohabitation entre les sexes, le débat n'a guère évolué sur toutes ces questions en cette période de retour à l'ordre moral... dans les têtes et les curs. Amour, anarchie, nous avons laissé en panne nos acquis. A nous femmes et hommes de reprendre la discussion.



Amour et anarchie : l'amour libre


Ecrit par libertad, le Dimanche 24 Novembre 2002, 15:31 dans la rubrique Sexualité et amour libre.